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Allemagne à la mode prussienne, subjuguée par un pouvoir qui a commencé son entreprise d’agrandissement en violant les garanties de la liberté et en foulant aux pieds les institutions représentatives, ne s’adressent nullement à la nation allemande. Que le peuple allemand resserre son union en développant ses libertés suivant l’esprit de son histoire, en conservant les institutions locales, qui ont toujours été si chères à ses groupes variés, la France libérale n’a ni le droit ni le goût d’en prendre ombrage. En dépit des arbitraires théories de nationalités qui ont prévalu dans ces derniers temps, il n’y a entre les Allemands et nous aucune antipathie de race : les grands esprits de l’Allemagne ont toujours estimé et recherché la France ; les lettrés et les savans de la France contemporaine ont emprunté les plus heureuses inspirations et les plus précieux enseignement aux écoles allemandes. Tout Latins qu’on veut nous faire, nous ne pouvons oublier que nous portons dans notre sang et jusque dans notre tour d’esprit quelque chose des fortes origines germaniques. Bien loin de voir avec jalousie le progrès unitaire libéral de l’Allemagne, nous y applaudirions comme à un concours moral qui profiterait au développement des destinées libérales de la France ; mais un agrandissement pur et simple de la monarchie prussienne ferait rétrograder la France et l’Allemagne aux plus mauvais jours de l’histoire de leurs anciennes rivalités. Aucune extension de territoire qu’on offrirait à la France comme une compensation passagère pour en faire un sujet d’éternelle contestation dans l’avenir ne serait une indemnité suffisante des difficultés et des périls que nous susciterait un semblable accroissement de la Prusse. Imagine-t-on une situation plus illogique que la nôtre en face de ces éventualités de l’alliance prusso-italienne ? Encore n’osons-nous soulever à peine le voile de l’avenir que du côté des chances favorables à cette alliance ; que serait-ce si on voulait en considérer les chances fâcheuses ?

L’enjeu que met la France dans ces aventures, la perturbation cruelle que la seule perspective de cette crise politique a produite dans ses grands intérêts économiques nous touchent trop pour que nous ayons le goût de deviser sur la part de responsabilité qui revient à la Prusse, à l’Autriche, à l’Italie dans cette situation désastreuse. Hélas ! les Phaétons sont partout aux chars du soleil ; la maladresse des uns produit autant de maux que l’imprévoyance ou la témérité des autres. Que peut-on dire de nouveau par exemple de M. de Bismark ? Ce bizarre politique a depuis des années eu la franchise d’annoncer partout aussi bien dans les palais des souverains que dans les promenades des villes d’eaux les desseins qu’il est aujourd’hui en train d’exécuter. M. de Bismark est sceptique et dégagé en matière de politique intérieure : il voulait avoir entre les mains à tout prix le levier de la puissance prussienne, il se souciait peu des moyens. Réussir par le roi ou par le parlement lui était indifférent. Il lui importait de s’unir avec qui aurait la force. Il lui a paru que le roi de Prusse et