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ramener du sud au nord en un clin d’œil. M. de Bismark, avec sa hardiesse habituelle, démasque une alliance qui, préméditée ou non, est aujourd’hui dans la nécessité des choses, prend fait et cause pour le gouvernement de Florence, parle en son nom et déclare que la Prusse n’exécutera le désarmement que si l’Autriche défait ses préparatifs militaires sur la frontière vénitienne. La vérité est donc que nous n’avons fait que nous rapprocher du moment de l’explosion violente. Dans les trois camps, les canons sont chargés jusqu’à la gueule, et l’on dirait qu’ils vont partir tout seuls.

Pour l’immense majorité du public français, c’est là une terrible et soudaine surprise. L’intelligence, la moralité et les intérêts matériels les plus considérables de notre pays sont touchés par cette brusque péripétie. L’esprit français en est visiblement troublé. Ce n’est point une fumée de vanité patriotique de croire qu’il y a en ce moment chez nous un sentiment de probité politique qui est profondément affligé. Disons-le sans faux orgueil, tout ce qu’il y a en France d’esprits éclairés obéit à la même inspiration intelligente et honnête dans ces questions de paix et de guerre : la désolation de la guerre portée de sang-froid au centre le plus vivace de l’Europe, c’est aux yeux de tous parmi nous un cruel, un odieux, un déplorable anachronisme. Pour prévenir un tel malheur, ce qu’il y a de meilleur en France eût voulu tout faire. Notre politique a-t-elle bien fait tout le possible ? C’est la première question qu’on s’adresse avec inquiétude et regret. Si, ayant suivi les meilleures voies et appliqué les plus énergiques efforts, elle a échoué, on ne pourrait s’arrêter sans confusion à ce pénible aveu d’impuissance ; mais s’il y a eu des fautes ou des erreurs commises dans le passé, ce n’est point en regrets stériles qu’il faut maintenant se consumer. En ce qui nous concerne, nous avons, depuis la querelle des duchés, amplement exposé, à mesure que les événemens se produisaient, les vues et le système qui nous paraissaient devoir prévenir les tristes complications dont nous sommes aujourd’hui témoins. La répétition de nos critiques prolongées ne serait plus qu’une récrimination inopportune et superflue, c’est du présent et de l’avenir qu’il faut maintenant se préoccuper. Quoiqu’elle ne soit point encore directement mêlée à la lutte qui s’annonce entre l’Autriche d’une part, la Prusse et l’Italie de l’autre, la France ne saurait être désintéressée dans les résultats incertains de cette lutte. C’est ce que l’instinct public proclame en ce moment avec une sorte de véhémence par les manifestations des marchés financiers. Tout le monde reconnaît que des explications précises doivent être échangées entre les organes parlementaires du pays et le gouvernement touchant la direction générale qu’il convient d’imprimer à la politique française en face des perspectives difficiles qui se présentent à nous. Ces explications seront données et contrôlées sans doute dans la discussion qui va s’ouvrir au corps législatif à propos de la loi du recrutement.

Il est deux points qu’il nous paraît important de préciser à la veille de