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Prusse par un simple non posmmus, par l’invocation du respect dû aux droits des tiers, tels que le duc d’Augustenbourg, le grand-duc d’Oldenbourg, ou tout autre prétendant auquel la diète fédérale voudrait adjuger la « succession[1]. » Eh bien ! l’arrêt des syndics de la couronne vint heureusement démontrer aux hommes d’état de Vienne leur erreur profonde, radicale. Il n’y avait pas de tiers, de prétendant quelconque, il n’y avait point de « droits de succession » d’aucun genre ; l’empereur François-Joseph et le roi Guillaume Ierétaient les conquérans et les propriétaires exclusifs des duchés, ils étaient les maîtres absolus du Slesvig-Holstein et pouvaient en disposer à leur gré. Or, comme l’empereur François-Joseph ne pouvait guère songer à s’embarrasser de possessions lointaines, au-delà des monts et des vaux, sur les confins du nord, in ultima Thule, — qu’avait-il dès lors à faire, sinon céder sa part de conquête à son bon frère et bon ami le roi Guillaume Ier? La Prusse était toute disposée à acheter une telle cession avec une très forte somme et en beaux deniers comptans. La Prusse était assez riche pour payer la gloire… du Habsbourg, son honneur, sa foi engagée et sa considération dans le monde !

Tel fut désormais le programme du ministre prussien dans l’affaire des duchés, et il choisit son temps encore mieux que ses argumens. Il saisit la cour de Vienne de sa nouvelle théorie, que vinrent assaisonner à l’occasion des paroles passablement menaçantes ; il donna ce rude assaut à la conscience et à l’honneur du petit-fils de Marie-Thérèse, précisément dans ces derniers jours de juillet 1865 qui marquèrent pour l’état des Habsbourg une crise intérieure des plus graves, une crise vitale en quelque sorte. Le souverain d’Autriche venait de congédier M. de Schmerling et de faire le premier pas vers une réconciliation avec la Hongrie et les autres nationalités de l’empire, si longtemps et si impitoyablement sacrifiées à l’élément germanique sous le régime soi-disant « parlementaire » de la patente de février. Il venait d’inaugurer ce système de justice et d’équité envers tous ses peuples qui, s’il continue d’être pratiqué avec loyauté et vigueur, sera certainement la gloire impérissable de François-Joseph et la grande force de sa dynastie. Déjà ce système commence à porter ses fruits : on n’a qu’à voir le

  1. Ce n’est point toutefois que l’Autriche n’ait eu, elle aussi, son moment de faiblesse et de tentation. Oubliant un jour, de son côté, le respect dû « aux droits des tiers, » elle adressait des insinuations à Berlin au sujet d’un échange possible des duchés contre un « équivalent territorial » (telle partie de la Silésie). Voyez la dépêche autrichienne du 21 décembre 1864, et notamment le passage où le ministre s’en réfère à une déclaration qu’a dû faire antérieurement l’ambassadeur comte Karolyi. — On n’est pas parfait dans ce bas monde, pas même sur ses hauteurs…