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LA
CRISE EN ALLEMAGNE

Depuis bientôt deux mois, les affaires d’Allemagne présentent un spectacle qui ne manque certes pas d’un haut enseignement moral, mais qui en même temps inspire les appréhensions les plus graves. L’attentat commis sur le Danemark porte ses premiers fruits. L’Autriche expie cruellement sa déplorable faiblesse des années 1863 et 1864. Quant aux états secondaires de la Germanie, qui ont tant poussé à la « délivrance » des duchés, ils voient maintenant se tourner contre eux ces fameux canonniers de Missunde que l’ordre du jour d’un prince royal avait intempestivement désignés à l’admiration des siècles futurs. A la satisfaction toutefois qu’un tel retour de la justice historique fait éprouver à toute âme bien née viennent malheureusement s’ajouter, en l’effaçant presque, des considérations bien moins idéales et de véritables angoisses. Il s’agite à l’heure qu’il est de l’autre côté du Rhin des questions devant lesquelles l’Europe, la France surtout, ne pourrait guère longtemps garder une neutralité tantôt affligée, tantôt réjouie, mais toujours énigmatique ; ses intérêts les plus directs commencent à être engagés dans le conflit austro-prussien. A vrai dire, c’est précisément cette neutralité de la France qui fait tout le nœud de la complication et tient en suspens jusqu’au jugement qu’on pourrait se former sur les hommes et les choses. M. de Bismark n’est-il qu’un aventurier audacieux qui place follement son pays devant un nouveau Iéna ou un nouvel Olmütz ? ou bien est-ce un politique supérieur qui a calculé ses moyens, combiné un vaste plan et conquis des alliances sérieuses ? Est-ce un Alberoni ou un Cavour que nous voyons s’agiter sur les bords de la Sprée ? — un Cavour en tout cas