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s’en occuper. Là-dessus la séance fut levée. Si quelques illusions étaient restées aux envoyés anglais, elles devaient entièrement s’évanouir devant une façon de procéder si singulière.

La mission n’avait plus qu’une chose à faire, retourner au Bengale par le chemin le plus court et se retirer avec le moins de dommage possible de l’impasse où elle s’était aventurée. Les préparatifs de départ furent donc faits. Cependant les membres inférieurs du conseil s’interposèrent. Certains d’entre eux firent savoir dans le camp des Anglais qu’ils étaient fatigués de la domination du tongso penlow et qu’ils auraient soin de l’écarter de la discussion, si M. Eden voulait assister à une nouvelle entrevue. D’autres rapports indirects apprirent aux envoyés anglais qu’on était décidé à les arrêter par force au cas où ils persisteraient dans leur projet de départ immédiat. Ils se résignèrent et attendirent quelques jours encore.

Il serait trop long de suivre à travers mille incidens de détail toutes les phases de cette malheureuse ambassade. Une scène dernière qu’il convient de rapporter surtout fera comprendre les véritables intentions des indigènes. Après avoir admis verbalement les clauses principales du traité, on était convenu de s’assembler une dernière fois pour y apposer les signatures. M. Eden, ayant écarté toutes les propositions insidieuses du tongso penlow, se croyait au bout de ses aventures. Comme d’habitude, la conférence devait avoir lieu sous une tente, puisqu’on n’avait pas admis les étrangers à l’intérieur du palais. Cette fois les membres du conseil firent fête aux officiers anglais ; on leur offrit du thé et du riz, puis on se mit à lire le projet de traité. A peine cependant cette lecture était-elle commencée, le tongso penlow revint à son thème favori de la cession des Dooars, déclarant qu’il n’avait besoin que de cela et que l’on avait eu tort de venir, si l’on n’avait pas de pouvoirs pour traiter cette question. M. Eden reprit la série des objections qu’il avait déjà présentées tant de fois. La scène se passait entre ces deux interlocuteurs, les autres membres du conseil causant et riant entre eux pendant la discussion. Enfin le tongso penlow, impatienté, prit M. Eden par les cheveux, lui frappa dans le dos, se livra en un mot à tous les actes d’insolence imaginables. M. Eden montrant alors des signes d’impatience (il avait cependant été bien patient), ce chef indigène se mit à rire et à lui expliquer que c’était un acte de familiarité sans conséquence. Tout cela égayait beaucoup les assistans et la foule qui entourait le conseil. Un autre chef eut la gracieuseté d’offrir au docteur anglais des feuilles qu’il avait mâchées, et, sur le refus du docteur de les mettre dans sa bouche, il les lui jeta au visage. Un autre encore enleva à Cheeboo Lama la montre qu’il portait. Ces