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faisait venir Cheeboo Lama à cette seule fin de l’injurier grossièrement pour avoir consenti à guider les Anglais dans l’intérieur du Bhotan. Enfin on voulut bien accorder une entrevue à l’envoyé britannique. Le conseil était présidé en cette circonstance par le tongso penlow, qui n’avait cependant aucun droit à cette primauté. Après avoir été retenus en plein soleil au milieu d’une foule de soldats qui les injuriaient et leur jetaient des pierres, les officiers anglais furent introduits devant cette assemblée. On ne fit que convenir de la façon dont la négociation serait conduite. Cheeboo Lama devait en être l’interprète obligé, car il connaissait seul la langue du pays. Quant à l’entrevue avec les souverains nominaux, le deb et le dhurma rajahs, on dit d’abord qu’elle était inutile ; ensuite, sur l’insistance de M. Eden, on la remit à quelques jours.

La seconde conférence eut lieu bientôt après. M. Eden et ses compagnons ne furent admis, comme la première fois, que sans leur escorte. On voulait bien leur permettre de s’asseoir, mais à la condition qu’ils apporteraient leurs sièges eux-mêmes, car il était interdit à leurs serviteurs de les suivre. Le conseil était en séance à l’intérieur d’une tente si exiguë que les Anglais se virent obligés de se tenir au dehors, en plein soleil. M. Eden souffrait tout cela, espérant arriver par la patience à une conclusion favorable. Ils furent conduits ensuite devant le deb rajah, qui paraissait si effrayé qu’il n’osait pas ouvrir la bouche, enfin devant le dhurma rajah, jeune homme de dix-huit ans, qui n’en dit pas davantage. Le tongso penlow se montrait partout en maître, parlait seul, agissait seul. Tous les membres du conseil paraissaient accepter son entière domination. La conférence reprit un peu après son cours dans la tente où la réunion avait eu lieu tout d’abord ; on était arrivé à la lecture du projet de traité que M. Eden avait apporté, lorsque le tongso penlow déclara avec hauteur qu’une seule chose l’intéressait et par conséquent devait être mise en discussion, à savoir l’évacuation par les Anglais du territoire des Dooars qu’ils avaient annexé vingt-quatre ans auparavant. Quant aux sujets britanniques emmenés en captivité, quant aux bestiaux volés sur la frontière et autres réclamations secondaires, il n’y serait répondu qu’après que l’affaire principale, la reddition des Dooars, aurait été résolue à la satisfaction des Bhotanèses. M. Eden avait le droit d’être étonné de cette prétention, puisqu’il s’agissait d’une question tranchée depuis longtemps et que ses instructions ne l’autorisaient nullement à introduire dans les négociations. Il en fit la remarque au conseil, ajoutant qu’à supposer qu’il suivît le tongso penlow sur ce terrain, les conventions qui en résulteraient seraient certainement annulées par le gouvernement de l’Inde pour ce motif même qu’il n’avait pas pouvoir de