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trop tard avec intention, arrivait quand l’ambassadeur était depuis plus d’un mois en route. Le deb rajah pensait que les questions en litige seraient mieux traitées à la frontière, sur le théâtre même où les difficultés avaient pris naissance. Tout était calculé afin de décourager M. Eden, sans qu’il fût nécessaire de lui donner une réponse formellement négative. On ne voulait point le recevoir, ni traiter avec lui, pas plus qu’on ne voulait s’attirer l’inimitié du gouvernement de l’Inde par un refus non déguisé.

Le 22 février 1864, M. Eden arrivait avec sa suite à Paro, résidence de celui des deux penlows qui gouverne la moitié occidentale du pays. La ville n’a rien de remarquable, ni le fort non plus, bien que ce soit une des places les plus importantes de la contrée. Deux ou trois cents hommes, sans autre paie que l’habillement, la nourriture et le droit de dépouiller leurs compatriotes, sans autres armes que des flèches, des arcs et quelques rares mousquets de forme ancienne, voilà ce qui constitue en temps ordinaire l’armée de ce chef montagnard. La position, il est vrai, doit beaucoup à la nature et serait difficile à emporter de vive force. On y voit, comme en Chine, de ces tours à étages multiples, recouvertes d’une large coupole en cuivre. La décoration intérieure dénote que les Bhotanèses ont quelque goût pour les arts. Les murs, peints en bleu et en jaune portent çà et là l’image fantastique du dragon chinois. Des armes, des lanternes, des drapeaux, sont suspendus au plafond ; ce sont des objets consacrés par le grand-lama du Thibet, et que pour ce motif on conserve précieusement.

Les officiers anglais eurent tout le temps d’examiner ces merveilles d’architecture locale, car le penlow, après les avoir reçus avec assez de brutalité le premier jour, finit par leur promettre son appui. Il les engagea même à attendre qu’on sût d’une façon positive quelles intentions le gouvernement central avait à leur égard. Au dire du paro penlow, le deb actuel était sans aucun pouvoir ; tout obéissait au tongso penlow, et celui-ci était mal disposé pour les Anglais. La mission séjourna donc une quinzaine de jours à Paro, attendant des nouvelles qui ne vinrent pas. Malgré l’incertitude de l’accueil qui lui était réservé, en dépit des fâcheux avis qu’il recevait, M. Eden prit la résolution de poursuivre son entreprise. Il était venu de trop loin pour retourner sans avoir persisté jusqu’au bout.

La petite troupe était enfin en vue de Poonakha le 15 mars. Toutes les nations, même les moins civilisées, ont coutume de recevoir les ambassades avec un certain cérémonial. M. Eden avait envoyé plusieurs messagers pour annoncer son arrivée prochaine ; il avait même écrit au deb rajah pour en fixer le jour. Un simple cavalier vint au-devant de lui sans autre but que de lui assigner l’endroit où il devait camper. Deux jours après, le conseil du deb