Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Inde a faits pour reconstituer des états indépendans sur ses frontières. Entre les provinces de l’Hindoustan soumises d’une façon directe à la domination britannique et les contrées presque inconnues qui s’étendent au-delà de l’Indus et des monts Himalaya, il était pourtant d’une sagesse évidente de créer des royautés indigènes qui fussent comme une barrière contre les barbares. On raffermissait donc sur leur trône ; les princes natifs, on les laissait prendre à leur service des officiers européens qui pussent reconstituer leur armée, rétablir quelque ordre en leurs finances et leur administration. On mettait auprès d’eux un résident, sorte de maire du palais qui devait éclairer de ses conseils le gouvernement local ; mais on avait compté sans la mollesse ou l’incurie des dynasties indigènes. Peu à peu, par des transitions insensibles, le résident réunissait entre ses mains tous les pouvoirs de l’état, sous le prétexte assez justifié de défendre le pays contre l’anarchie ; puis, poussé par les vœux plus ou moins bien constatés des populations, on profitait d’un changement de règne, d’une régence faible, pour annexer définitivement le royaume dont on avait assumé déjà le gouvernement. C’est là l’histoire du Pendjab et du royaume d’Oude, à ne parler que des acquisitions les plus notables parmi les plus récentes. L’histoire du Bhotan sera différente, mais aboutira au même résultat. Il n’y a de changé que l’état social et le caractère des populations avec lesquelles les Anglais se trouvent en contact. Vers l’ouest, ils rencontraient des nations musulmanes mêlées de sang arabe, mais dont la bravoure originelle est un peu amortie par le climat et dont la civilisation assez avancée s’est déjà façonnée aux gouvernemens despotiques ; à l’est, ils trouvent des peuples thibétains ou mongols, cauteleux, rusés, belliqueux néanmoins, indépendans et dans un état social voisin de l’anarchie.

À ce point de vue général, les origines de la querelle actuelle de l’Angleterre avec le Bhotan et les péripéties de la guerre qui se poursuit au pied de l’Himalaya présentent peut-être un intérêt plus étendu qu’on ne le soupçonnerait au premier abord, à n’en juger que par l’importance de ce pays presque inconnu. A peine sait-on où est situé le Bhotan ; encore moins connaît-on ce qui se passe dans ses montagnes. Il y a là cependant un peuple dont les instincts sauvages luttent contre les envahissemens de la civilisation qui va l’absorber. On verra aussi dans cette histoire à quel point le gouvernement de l’Inde est parfois tolérant envers ses barbares voisins, combien peu l’esprit militaire a de part en ses résolutions, à quels échecs l’amour-propre britannique est exposé dans ces contrées lointaines, quelles hésitations enfin retardent une annexion reconnue indispensable. Il semble, en vérité, que