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qui, montées par autant de bateliers fameux, joutent de vitesse, et font au public un passe-temps. Je pris beaucoup de plaisir à contempler la multitude qui pour voir cet amusement s’était arrêtée sur le pont du Rialto, sur la rive des Camerlingues, à la Pescaria, au traghetto de Sainte-Sophie, à celui de la Casa di Mosto. Et pendant que des deux côtés la foule s’en allait chacun par son chemin avec des applaudissemens joyeux, moi, en homme incommode à lui-même qui ne sait que faire de son esprit et de ses pensées, je tourne mes yeux au ciel. Jamais, depuis que Dieu l’a fait, ce ciel n’a été embelli d’une si charmante peinture d’ombres et de lumières ! L’air était tel que le voudraient faire ceux qui portent envie à Titien, parce qu’ils ne peuvent être Titien,… d’abord les bâtisses, qui, étant en vraie pierre, semblent pourtant une matière transfigurée par artifice, puis le jour, qui, en certains endroits, est pur et vif, et en d’autres troublé et amorti. Considérez encore une autre merveille, les nues épaisses et humides, qui, sur le principal plan, descendaient jusqu’aux toits des édifices, et sur l’avant-dernier s’enfonçaient derrière eux jusqu’au milieu de leur masse. Toute la droite était d’une couleur effacée suspendue dans un gris-brun noir. J’admirais les teintes variées que ces nuages étalaient aux yeux, les plus voisins tout éclatans des flammes du foyer solaire, les plus lointains rougis d’un vermillon moins ardent. Oh ! les beaux coups de pinceau qui de ce côté coloraient l’air, et le faisaient reculer derrière les palais, comme le pratique Titien dans ses paysages ! En certaines parties apparaissaient un vert azuré, en d’autres un azur verdi véritablement mélangés par la capricieuse invention de la nature maîtresse des maîtres. C’est elle ici qui avec des teintes claires ou obscures noyait ou modelait les formes selon son idée. Et moi qui sais comme votre pinceau est l’âme de votre âme, je m’écriai trois ou quatre fois : Titien, où êtes-vous ? » — On reconnaît ici les fonds de tableau des peintres vénitiens : voilà les grands nuages blancs de Véronèse qui dorment suspendus au-dessus des colonnades ; voilà les lointains bleuâtres, l’air palpitant de clartés vagues, les chaudes ombres rougeâtres et roussies de Titien.


Le palais ducal.

Il y a des familles de plantes dont les espèces sont si voisines que les ressemblances y surpassent les différences : tels sont les peintres de Venise, non-seulement les quatre célèbres, Giorgione, Titien, Tintoret, Véronèse, mais d’autres moins illustres, Palma le vieux, Bonifazio, Pâris Bordone, Pordenone et cette foule énumérée par Ridolfi dans ses Vies, contemporains, parens, successeurs des grands hommes, Andréa Vicentino, Palma le jeune, Zelotti, Bazzaco, Padovinano, Bassano, Schiavone, Moretto et tant d’autres. Ce qui se