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l’affront fait à sa mère, la conduisit en Épire et passa lui-même… » (Une pierre enveloppée d’un papier, lancée par-dessus le mur, tombe à ses pieds.) Ah !… Voilà un papier qui, à coup sûr, ne tombe pas du ciel… Il a donc été lancé de l’autre côté du mur,… par qui ? Je l’ignore. Pour qui ? Comment le saurais-je, si je n’étais pas curieuse ? (Elle jette la pierre et va pour lire le papier.) Ai-je bien le droit de me rendre ainsi la confidente d’un secret ?… Oh ! je suis très discrète, et d’ailleurs quel parti prendre ? Si je remets ce billet sur le sable de l’allée, le jardinier, en faisant sa ronde, le découvrira et le portera à madame ; si je le détruis, je laisse mourir d’inquiétude une de mes bonnes amies, tandis qu’en le lisant, je,… et puis, qui sait ?… Dame ! c’est peut-être pour moi. (Elle lit.) « Ma chère Marie… » (A elle-même.) Je me nomme Gabrielle. (Avec regret.) Ce n’est pas pour moi… « Ma chère Marie. » Laquelle ?… Il y a dix-sept Maries, seulement parmi les grandes… La suite m’apprendra sans doute… (Elle lit.) « Ma chère Marie, l’amour impose des devoirs sacrés ; je vous aime, je saurai les remplir ; si vous m’aimez, faites comme moi. Votre père veut vous unir à votre cousin Vermillac ; rassurez-vous, je connais un moyen de vous soustraire à cet odieux mariage ; trouvez-vous au fond du parc après la récréation du soir, et je vous le dirai. — Post-scriptum. — Je prie la pensionnaire charitable qui ramassera ce billet de vouloir bien le remettre en secret à ma chère Marie. — Merci pour elle et pour moi. » — De tous les cousins de ces demoiselles, il n’y en a qu’un du nom de Vermillac, et c’est Marie de Chambois qui le possède, ma meilleure amie… Elle m’a bien souvent parlé de son cousin, qu’elle doit en effet épouser ; mais elle ne m’a jamais rien dit de… de l’autre qui attend là… derrière le mur… Je comprends,… dans la situation de son père, elle ne peut pas faire autrement que de… (on entend une cloche.) Ah ! Voilà la fin de la récréation… pour les autres,… mais pas pour moi… Il y a longtemps que je ne suis plus les classes. J’ai fini, et quand mon oncle voudra… Marie a vraiment du bonheur… Deux !… Elle en a deux !… Son cousin et le monsieur qui est là !… J’en ai bien un, moi aussi, mon cousin de Joyeuse,… mais il ne compte pas… Nous nous sommes quittés tout enfans, je ne l’ai plus revu, et je sais que le jour où mon oncle lui proposa de m’épouser, il a répondu : J’aime mieux me faire tuer !… C’est ça qui est aimabl !… Voyons, que faut-il que je fasse ?… Je ne sais vraiment pas si, malgré le post-scriptum, je dois…

SCÈNE II.
GABRIELLE, TRISTAN.
TRISTAN, passant la tête par-dessus le mur.

C’est moi !

GABRIELLE, se retournant et poussant un léger cri.

Ah !…