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favorisé de cette manière la prétention fondamentale d’un parti qui lui aurait déplu sous tous les autres rapports. S’il l’avait écrit longtemps auparavant, ce n’est pas à un évangile contraire à toutes ses autres vues que le montanisme eût été emprunter des termes caractéristiques. Cet évangile doit donc être sorti d’une situation religieuse où l’expression et l’idée générale du Paraclet étaient en honneur, de manière à rester l’héritage commun de deux tendances qui n’allaient pas tarder à diverger considérablement. On arrive au même résultat, si l’on envisage la controverse engagée sur le jour de la mort du Christ. C’est vers le milieu du IIe siècle que l’on commence à combattre en Asie-Mineure la coutume de célébrer la pâque avec les Juifs le 14 nisan, et vers 170 les adversaires de cette coutume alléguaient déjà les données historiques du quatrième Évangile. Ce livre existait donc depuis un certain nombre d’années, puisqu’il était dès lors revêtu d’une grande autorité. — D’autre part, il ne peut pas avoir été écrit lorsque le souvenir personnel de l’apôtre Jean et de la sanction qu’il avait publiquement donnée à la coutume asiatique était encore tout récent. De ce côté, nous sommes de nouveau reportés.dans la période 140-150.

Telle serait donc l’époque à laquelle un chrétien d’Ephèse, aux inclinations mystiques, d’éducation philosophique alexandrine, pénétré à un degré fort remarquable des besoins religieux de son temps, en réaction décidée contre le judaïsme encore prédominant, ayant des motifs sérieux de croire que l’histoire de Jésus, telle qu’elle était retracée jusqu’alors, ne faisait pas suffisamment droit au spiritualisme évangélique, aurait conçu le projet de la refaire sur un nouveau plan, de manière à la dégager de ce qui lui paraissait au-dessous d’elle, de manière aussi à lui adapter les vues favorites de l’école philosophique à laquelle il appartenait, comme presque tous les penseurs religieux de son temps. Sans se faire passer positivement pour Jean, l’apôtre d’Éphèse, il aurait écrit en quelque sorte au nom d’un Jean idéalisé, comme tous les personnages qui figurent dans son livre. Conformément à la tendance commune des gnostiques, dont après tout il se rapproche beaucoup, il aurait imprimé à son récit cette allure mystérieuse, ésotérique, faisant supposer qu’on possède des traditions secrètes, inconnues du vulgaire, qu’on a dû garder longtemps pour soi, mais qui n’en remontent pas moins directement à la source elle-même. Son livre, qui répondait si bien aux besoins, aux goûts, aux idées du temps où il fit son apparition, se serait frayé doucement un chemin paisible et sûr au milieu des exagérations de, droite et de gauche, satisfaisant ici la spéculation gnostique, là l’esprit philosophique, ailleurs l’individualisme montaniste, ailleurs encore les tendances modérées de la majorité ; il aurait ainsi gagné l’Occident