Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

général, les sacrificateurs et les pharisiens surtout, sont rebelles à la vérité céleste : cela n’est pas étonnant, ils sont enfans des ténèbres, du diable, et ils périront dans leur aveuglement. Le livre respire d’un bout à l’autre une antipathie, un mépris extrême de tout ce qui est juif. Contrairement à toutes les vraisemblances historiques, il fait dire à Jésus parlant à ses compatriotes : votre loi, comme s’il n’avait lui-même rien à faire avec elle. En particulier, rien de plus étrange que la stupidité systématique des interlocuteurs de Jésus. Sur ce point, le « docteur d’Israël, » Nicodème, n’est pas plus habile que la pauvre Samaritaine ; mais cela est dans l’ordre : l’homme de lumière seul est apte à bien comprendre la vérité que le Verbe incarné daigne communiquer à ses infimes auditeurs. Voilà au fond ce qui nous explique la manière pour ainsi dire professorale, l’exposition solennelle, majestueuse, ressemblant souvent à une série d’oracles mystiques, quelque peu monotone, du quatrième Évangile. Les idées sont grandes, les faits difficiles à se représenter et soumis, dirait-on volontiers, à un rhythme constant. En revanche, le Christ est et reste toujours le même, sans tentation, sans défaillance. Il pleure une fois, mais c’est d’indignation, de colère, dans le sens du moins où l’idée de colère s’applique à Dieu lui-même (III, 36 ; comp. XI, 33, 35), à la vue de l’incrédulité des hommes. Ce n’est pas le quatrième évangéliste qui racontera la scène lugubre de Gethsémané, où le Fils de l’homme est tout près de succomber aux terreurs atroces qui l’oppressent. Loin de là : Jésus se demande dans ce livre pourquoi il prierait Dieu de le délivrer de l’heure fatale qui s’avance, puisque c’est pour cette heure-là même qu’il est venu. Cet Évangile ne reproduira pas davantage l’exclamation déchirante Eli, lamma sabbachtâni ! arraché par le paroxysme de la douleur au crucifié expirant. Ce sont là des angoisses qui peuvent convenir au Fils de l’homme des synoptiques, mais qui ne sauraient atteindre le Verbe divin du quatrième Évangile. Rien ne l’étonne, rien ne le déçoit, il a tout prévu de prescience divine. Judas lui-même n’a trahi Jésus que parce que Jésus l’a bien voulu : du premier jour, il savait, que « ce démon » le trahirait, ce qui ne l’a pas empêché de l’appeler à lui, vu que cette trahison rentrait dans le plan divin. Du reste, Jésus est mort à son heure. Les hommes auraient voulu le faire périr auparavant, ils n’ont pu. L’œuvre proprement dite du Verbe incarné, c’est d’attirer à lui les enfans de lumière disséminés par le monde et de leur communiquer l’esprit vivifiant « qui conduit en toute vérité. » Le dernier soir de sa vie terrestre, au lieu de donner essor, comme dans les synoptiques, aux sombres pressentimens qui l’assaillent, Jésus parle aux siens avec une imperturbable sérénité des vérités mystiques que seuls ils peuvent entendre et comprendre, parce qu’ils ne sont pas du monde. Il leur fait voir