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travaux publics. Appelé à étudier les immenses ressources agricoles et maritimes de ce pays privilégié par la nature, il a été péniblement affecté de voir dépérir tant de richesses et rester inactifs tant d’élémens civilisateurs. Avec des territoires d’une fertilité exceptionnelle et qui se prêtent aux cultures les plus variées, des rivages plus étendus que ceux d’aucune autre terre d’Europe, des gisemens minéraux d’une importance trop méconnue, un état financier dont les formes primitives, les procédés presque barbares se prêtent aux modifications les plus immédiates et les plus profitables, la Turquie lui semble susceptible de se transformer rapidement sous la main d’un véritable homme d’état. Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, et sans vouloir le moins du monde nous porter garans d’une opinion qui, si elle est étrangère à tout calcul, ne nous semble pas affranchie de toute prévention, nous ne pouvons refuser à M. Farley le mérite de plaider éloquemment une cause évidemment bonne à gagner. L’éloquence dont nous parlons est celle des faits. Nulle part ou ne rencontrera autant de renseignemens précis, autant d’indications pratiques sur le régime des voies de communication, l’état des ports, le mouvement général du commerce, les institutions de crédit, que M. Farley en a groupé dans ce curieux volume. L’idée dominante qui s’y trouvé développée peut se résumer ainsi : la Turquie, pays neuf, ne saurait aspirer, de prime abord, aux institutions des états les plus avancés dans l’expérience de la vie sociale. Ceux qui veulent la doter dès aujourd’hui de l’outillage coûteux et compliqué qui incombe à une civilisation plus développée commettent une grave erreur, et peuvent compromettre, en le dénaturant, le développement progressif de ce pays privilégié. Ce pays doit marcher plus lentement et plus sûrement à la conquête de ses destinées nouvelles, destinées dont il voit à peine poindre l’aurore. Avant de le pousser au premier rang des états civilisés, donnez-lui les moyens de rejoindre l’arrière-garde. Il manque de voies convenables, il vaudrait mieux l’en pourvoir à peu de frais que de rêver pour lui un coûteux réseau de rails ways. Ses nombreux cours d’eau, canalisés sans trop de dépenses, lui fourniraient la plupart des voies de communication que réclament ses besoins actuels. « Il y a, dit quelque part M. Farley, des esprits ainsi faits que les routes ordinaires, les canaux, les tram-roads n’existent pas pour eux. Tout cela est trop simple, trop économique à leur gré. Ils ne se contentent pas à moins d’un chemin de fer que recommandent à leur imagination séduite les dépenses ruineuses dont il est l’occasion. Du moment où un oka de tabac doit être transporté de Drama sur Avlona par exemple[1], les gens en question évoquent à l’instant le ballast, les traverses, les coussinets, les rails, le matériel roulant nécessaire à cette vaste opération. Et ce sont justement eux qu’on rencontre sans cesse dans les bureaux de la Porte, assiégeant les ministres,

  1. Avlona est le principal port de l’Albanie moyenne.