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viens de parler et que traverse je ne sais quel grand souffle de la Bible, des applaudissemens, des rappels ayant éclaté sous le lustre, la salle entière a protesté de l’air le plus revêche, le plus cassant. Dure, implacable leçon, que de toutes parts les commentaires malveillans accompagnaient, et qui, passant par-dessus la tête de M. Gueymard, affectait d’en vouloir atteindre d’autres. Ce qui le ferait croire, c’est qu’après tout M. Gueymard n’avait chanté ce soir-là qu’à son ordinaire, ni meilleur, ni plus mauvais : la fortune du pot ! Il paraîtrait que de cette fortune-là les convives de l’Opéra ne s’accommodent point tous les jours, et de l’humeur où je les vois, ils sont capables d’exiger bruyamment avant peu qu’on leur serve autre chose. L’administration a donc besoin d’être avertie, éclairée. C’est de derrière le rideau qu’elle assiste à ces débats dont ceux-là seuls connaissent la gravité qui se mêlent au public des loges, de l’orchestre, voient le monde.

On a parlé de sourdes manœuvres, de cabales appelant à leur aide des moyens ignobles. Depuis une semaine, les journaux ne nous entretiennent que de fausses lettres adressées aux acteurs, aux chefs de service pour faire manquer la représentation. S’il est vrai que certaines gens aient trouvé plaisant de se livrer à des drôleries de cette espèce, ces mystificateurs appartiennent à la police correctionnelle ni plus ni moins que cet autre impudent fabricateur de mensonges qui naguère ne rougissait pas d’écrire, on sait trop dans quelle intention, cette lettre faussement signée du nom de Félicien David, alors candidat à l’Institut. Mais de tout ce triste monde nous n’avons point à nous occuper ici, nous ne parlons que du public de l’Opéra, du vrai public, lequel ne conspire point en cachette et ne s’inquiète nullement de mettre des sourdines à son irritation de plus en plus flagrante. Personne, je suppose, n’oserait soutenir que l’administration de l’Opéra soit sur un lit de roses. Cependant de ce que les ténors manquent, de ce qu’un échec vient d’être subi, il ne s’ensuit pas qu’on doive nécessairement emboucher la trompette du jugement. Telle qu’elle est, la troupe de la rue Le Peletier reste encore, malgré ses brèches, la meilleure qu’il y ait, la seule capable de grandes entreprises. L’important serait de ne jamais l’employer qu’à son avantage, d’éviter les partis-pris, les incartades. Autrefois la saison d’été, si difficile à traverser, se passait en débuts ; on profitait de l’absence des premiers sujets en congé pour essayer des talens nouveaux, ouvrir la carrière aux étoiles de passage. N’y a-t-il donc plus de voix qui se forment, et dans ces continuelles migrations de virtuoses étrangers qui traversent Paris ne se trouve-t-il plus un ténor, un contralto, un soprano digne d’occuper un mois nos loisirs ? Dans le gouvernement d’un théâtre comme l’Opéra, rompre avec la tradition est souvent nécessaire ; il ne faut pas néanmoins toujours vouloir brusquer les événemens, attendu que les coups d’état ne réussissent pas à tout le monde.

Les difficultés avec lesquelles a maintenant à compter l’administration,