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gosier cette musique sans nationalité, partant inoffensive, Martha a fait son tour du monde ; mais autrement, du bagage de M. de Flotow, qui se soucie ? Connaît-on seulement Stradella, les Matelots, Indra ? Au Théâtre-Lyrique, chaque fois qu’il s’agit d’un nouvel ouvrage de M. Gounod, l’administration a bien soin de se ménager d’avance quelque bonne reprise de Faust qui vienne au besoin réparer le désastre. Que fera désormais l’Opéra-Comique, lui qui n’a pas à sa disposition la précieuse ressource de son cousin de la place du Châtelet ? Tiendrait-il par hasard en réserve ce fameux Amphitryon dont les amis du musicien orphique nous ont déjà presque autant parlé que du Romeo et Juliette ? Il est vrai que le dommage est cette fois plus réparable, car nous n’avons affaire qu’à deux petits actes. Deux actes, soit, mais qui ont de l’ennui comme quatre. Impossible de rien imaginer de plus insipide que cette fricassée de perroquet et de tourterelle. Comment les librettistes s’y sont pris pour travestir en une comédie si ridicule un conte de Boccace et de La Fontaine, libre à ceux-là de s’en informer qui tiennent à connaître de pareils secrets :

Hélas ! reprit l’amant infortuné,
L’oiseau n’est plus ; vous en avez dîné.
L’oiseau n’est plus, dit la veuve confuse.
Non, reprit-il : plût au ciel vous avoir
Servi mon cœur !…


Or ce n’est ni l’oiseau ni son cœur que cet éternel roucouleur de madrigaux pleurards se trouve avoir servi à sa maîtresse, c’est le perroquet d’une de ses rivales venu là tout exprès pour se faire mettre dans la casserole, car on ne parle que ragoûts, épicerie en ce galant rébus. Et quel style ! des pages entières arrachées telles quelles de la Cuisinière bourgeoise, l’art de fabriquer une liaison, de dresser un rôt : « le lapin aime à être écorché vif, le lièvre préfère attendre ! » Et le plus triste, hélas ! c’est qu’on se croit fort gai, fort jovial et très comique en marmitonnant ainsi Boccace et La Fontaine ! M. Gounod a le tort de prendre au sérieux des sujets qui, par le temps qui court, ne sauraient être traités qu’en cascade. Son Horace, avec sa capeline à dents de loup, sa tourterelle et son arbalète, appartient à la race falote des princes de féerie. Livrée à l’analyse bouffonne des auteurs du Voyage en Chine ou de la Fiancée du Mardi gras, une telle physionomie eût évidemment fourni des trésors de fou rire. Et cette Sylvie en quête d’un oiseau savant pour faire pièce au perroquet d’Aminthe n’offre-t-elle pas un de ces types dont le grotesque n’avait plus reparu depuis l’herboriste de Prosper et Vincent, qui passait sa vie à chercher son paquet de chiendent égaré ? Mieux eût valu laisser dormir en paix cette Colombe ; mais dès qu’on y touchait, un pareil motif ne pouvait, à la scène, prêter qu’au travestissement, à la parodie, à la charge. Au lieu de cela, c’est par le sentimental que M. Gounod va l’aborder. Il a foi dans cette action carnavalesque,