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école à la fois mystique et spéculative faisaient du quatrième Évangile leur livre favori, au point même de jeter un discrédit fort injuste sur les synoptiques. Une foule de critiques plus ou moins distingués tirèrent à boulets rouges sur les Probabilia. On eût dit qu’il s’agissait de sauver à tout prix le palladium de l’église, et la joie des conservateurs fut grande quand ils apprirent que Bretschneider lui-même, cédant à l’orage qu’il avait déchaîné, avait fini par s’avouer vaincu. Pour le coup, on crut avoir trouvé le dernier mot sur le point controversé, et Bretschneider ne se douta guère que l’un de ceux qui l’avaient combattu avec le plus de modération et d’autorité, celui qui fut après Eichhorn la première autorité allemande en fait de critique biblique, l’illustre Credner, devait à la fin de sa vie reconnaître qu’il s’était trompé.

Pendant quelques années, la cause de l’authenticité parut donc encore une fois gagnée ; mais en 1835 surgit un nouvel et formidable adversaire, le Dr Strauss, qui, dans sa fameuse Vie de Jésus, plaida la thèse contraire. Un phénomène qui ne s’était pas vu encore vint rompre la monotonie de cette controverse. Les argumens contre l’authenticité du livre tel que nous le possédons aujourd’hui paraissaient désormais si forts que plusieurs critiques, beaucoup moins radicaux que l’audacieux docteur souabe, entre autres MM. Schweizer et Weisse, crurent indispensable de faire la part du feu. Ils cherchèrent à diviser le quatrième Évangile en deux parties, l’une authentique, l’autre ajoutée plus tard ; mais cette position intermédiaire ne fut pas longtemps tenable. Sauf le chapitre XXI et quelques gloses éparses, l’unité du plan, du style, de la pensée, infligeait à cette hypothèse un démenti flagrant. D’autre part, et tandis que d’éminens critiques, M. de Wette et M. Reuss de Strasbourg, restaient sur une prudente réserve, le pieux Neander, l’ingénieux et paradoxal M. Tholuck, qui avait accepté la mission d’aller détruire à Halle l’hydre du rationalisme, M. Hase, le spirituel théologien d’Iéna, surtout le Dr Lücke, ami intime de Schleiermacher, et qui avait pris les écrits johanniques pour son domaine particulier, l’école réactionnaire d’Hengstenberg, etc., relevèrent avec énergie le drapeau de l’authenticité. L’exagération des théories mythiques appliquées par le Dr Strauss aux Évangiles faisait d’ailleurs un grand tort à ce qu’il pouvait y avoir de fondé dans ses critiques spéciales. En 1838, nouveaux triomphes : le Dr Strauss, dans la préface de la troisième édition de son fameux livre, en était venu à confesser que l’inauthenticité du quatrième Évangile n’était plus aussi certaine à ses yeux. Hélas ! ce fut une joie de courte durée. En 1840 paraissait une quatrième édition d’où le précieux aveu était retiré sans miséricorde.

C’est que dans l’intervalle avait grandi une école qui, du