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Il y en a eu un sans lequel l’Italie n’existerait pas, c’est M. de Cavour. Celui-là a été le véritable homme d’état de l’Italie nouvelle. Il avait l’étendue du coup d’œil et la netteté de résolution, le goût des affaires et l’art de les conduire. Du sein de son petit Piémont, il voyait ce qui se passait en Europe et ce qui se passait en Italie, et semblait à l’aise au milieu de toutes ces complications d’un grand mouvement à diriger. Il savait saisir l’occasion aussi bien que la préparer, et dans cette œuvre d’une nation à refaire par la liberté il a prodigué toutes les ressources d’un esprit que rien ne déconcertait, qui était toujours prêt à imaginer quelque expédient nouveau en marchant sans cesse au même but. On a dit quelquefois qu’il était mort à temps dans sa victoire et sans avoir connu les embarras de l’œuvre qu’il avait conduite. Il était de force à se mesurer avec toutes les situations et à ne se perdre dans aucune ; mais c’est l’Italie qui a manqué de cette main souple et habile, de cette bonne humeur vigoureuse qui s’imposait d’elle-même, et les Italiens sont les premiers à le sentir. Les successeurs de M. de Cavour ont cru parfois tenir son système et réussir comme lui, parce qu’ils semblaient suivre ses traditions ; pas du tout, ils ne tenaient qu’un de ses expédiens, un expédient qu’il eût peut-être laissé de côté dans le feu de l’action. Assurément cela ne veut point dire que l’Italie soit à la merci d’une existence individuelle ; mais pour le moment cette absence d’hommes n’a pas été une des moindres causes de ce décousu, de ces tâtonnemens, de cette indécision, qui n’ont fait qu’ajouter dans ces derniers temps aux embarras de la politique italienne en les laissant grossir et s’accumuler, en les aggravant quelquefois par de fausses mesures.

Et puis songez-y bien : à toutes les difficultés d’une élaboration nationale aussi hardie que complexe il faut en ajouter une qui est l’honneur de l’Italie, qui est sa force, il est vrai, mais qui en certains momens est aussi une faiblesse relative : c’est la liberté même au sein de laquelle cette transformation poursuit son cours depuis cinq ans. Comment l’œuvre marche-t-elle ? — Avec un parlement presque souverain, investi des prérogatives les plus étendues que nul ne songe à contester, avec le consentement incessant du pays, à la lumière de débats toujours ouverts. L’Italie a pu se mettre en défense contre le brigandage du Napolitain et opposer à des atrocités de bandits des moyens de répression extraordinaires ; elle a pu tout récemment prendre des mesures pour ne pas laisser la paix intérieure livrée à toutes les fantaisies au moment d’une guerre : il faut pousser le puritanisme un peu loin pour le trouver mauvais. Au fond, la liberté n’existe pas moins dans toute son extension, liberté parlementaire, liberté communale, liberté de réunion, liberté