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mesurer l’espace parcouru et les difficultés qui restaient à vaincre, M. de Cavour, le guide habile et heureux de cette transformation, précisait avec un mélange de hardiesse et de patiente sagacité cette situation d’où découle réellement tout ce qui arrive aujourd’hui, ce qu’il avait prévu et ce qu’il n’a pas vu. Il montrait ce qu’il appelait « l’étoile polaire » sur laquelle tous les regards devaient être fixés, sauf à se réserver le choix des moyens et des circonstances. Pour Rome, désignée dès ce moment comme « la splendide capitale du royaume italique, » il fallait savoir attendre. C’était une question qui ne devait point être tranchée par l’épée, qui ne pouvait être résolue que par les a forces morales. » Il fallait marcher avec la France, accoutumer l’Europe à voir dans la liberté italienne une gardienne plus sûre pour la papauté que vingt-cinq mille baïonnettes étrangères. Pour Venise, on ne pouvait évidemment faire la guerre à l’Autriche en ce moment, parce que l’Italie n’était point organisée, parce que l’Europe ne voulait pas la guerre, parce que les intérêts qui s’opposaient encore à la délivrance de la Vénétie étaient plus forts que toutes les sympathies. — Mais alors comment résoudre cette terrible question ? — « D’une manière bien simple, reprenait avec une clairvoyante assurance M. de Cavour : en faisant changer l’opinion de l’Europe… D’abord l’Europe doute encore que les Italiens soient capables de se constituer ; elle n’a pas une juste idée des ressources dont nous disposons. Elle nous croit impuissans à accomplir seuls et par nous-mêmes une si grande entreprise : ces idées, il dépend de nous de les rectifier. Organisons-nous, prouvons qu’il n’existe parmi nous aucun germe funeste de désunion et de discorde ; formons un état solide qui puisse disposer d’une armée formidable, d’une flotte puissante, et qui s’appuie sur le consentement unanime des populations… En second lieu, quelques-uns imaginent encore qu’une réconciliation est possible entre les populations vénitiennes et le pouvoir autrichien ; mais cette illusion va se dissipant. Il est clair qu’il n’est pas de concession, pas de tentative d’accord qui puisse détourner les Vénitiens des aspirations qui les entraînent vers la grande famille italienne… Quand ces vérités auront pénétré dans les esprits, dans les cœurs en Europe, elles exerceront, je l’espère, une grande influence… Quand il en sera ainsi, nous serons à la veille de la délivrance de Venise… » C’était marquer le but en traçant le chemin qui pouvait y conduire. Et si on pressait trop M. de Cavour de préciser son dessein, de fixer une échéance pour Venise ou pour Rome, il disait lestement, en homme qui compte aussi sur l’occasion : « Je répondrai si vous me faites savoir en quelle situation seront dans six mois l’Italie et l’Europe… » Je ne parle pas pour le moment de