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espérances de la vie future, ni les récits miraculeux des légendes, ni les luttes et le triomphe de l’église. Elle a assisté sans émotion à tous ces grands spectacles. Dans ce renouvellement de toute chose,. elle seule n’a pas voulu changer. Elle a continué à vivre maigrement des miettes de l’art antique, elle s’est contentée d’habiller la religion nouvelle avec les vêtemens fanés des anciens cultes, et il ne s’est pas levé un seul génie libre et original qui trouvât quelques accens dignes du grand mouvement auquel il assistait. Je ne connais rien qui prouve mieux que les évolutions littéraires sont soumises à des lois qui nous échappent, qu’on ignore entièrement les causes qui produisent les grands hommes et amènent les grands siècles, et que c’est surtout à propos de l’inspiration poétique qu’on peut dire que l’esprit souffle où il veut.

Je suis loin d’avoir épuisé toutes les observations que pourrait suggérer l’ouvrage de M. Le Blant ; mais je crois en avoir dit assez pour que l’importance des Inscriptions chrétiennes de la Gaule n’échappe à personne. Ce qui me frappe surtout, ce qui me semble le plus grand éloge qu’on puisse en faire, c’est que le travail est achevé et définitif. On n’éprouvera pas le besoin de le recommencer. Voilà un coin de terrain fouillé dans tous les sens ; il n’est pas d’une grande étendue, mais il n’y a plus rien à y découvrir. Nous savons désormais tout ce que les inscriptions chrétiennes peuvent nous apprendre sur l’état social de notre pays depuis le IIIe siècle jusqu’au VIIIe. Il serait bien à souhaiter que toutes les autres époques fussent étudiées avec le même soin. Tant que ces travaux de détail n’auront pas été accomplis, je crains bien qu’il ne soit téméraire et prématuré d’écrire une histoire de France. Malheureusement les vastes synthèses flattent l’esprit et attirent l’attention publique. On ignore le nom du savant qui consume sa vie dans des investigations minutieuses, mais sûres ; tout le monde parle de ceux qui sur des faits incomplètement connus construisent des systèmes ambitieux. Cependant ces brillans systèmes s’écroulent en quelques années, tandis que les résultats qu’on doit à des recherches modestes et circonscrites sont acquis pour toujours à la science. Ce sont ces ouvriers obstinés et obscurs qui rendent possible un travail d’ensemble ; ils posent laborieusement les solides assises sur lesquelles s’élèvera un jour l’histoire nationale.


GASTON BOISSIER.