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possession dès le premier jour de tout leur bonheur et de toute leur puissance. Le retard qu’y mettaient certains pères de l’église impatientait leurs adorateurs. Pour ne pas irriter ces âmes emportées et enthousiastes, il fallut faire des exceptions. Les martyrs d’abord furent affranchis de cette longue attente : leur sacrifice leur méritait bien des récompenses exceptionnelles. Aux martyrs on ajouta les saints les plus renommés de chaque pays. Un Gaulois se serait fâché, si l’on avait osé dire que saint Martin n’était pas au ciel et le plus près possible de Dieu. Il est probable que peu à peu les privilèges se multiplièrent, et qu’à force de faire des réserves l’ancienne opinion disparut. La nouvelle doctrine, que les vœux populaires avaient appelée et prévenue, ne fut entièrement fixée qu’au XIIIe siècle dans le concile de Lyon ; mais dès le VIe un pape faisait écrire sur sa tombe ces mots qui résumaient la pensée de tous les fidèles : « Nous avons l’assurance que le royaume céleste est ouvert aux justes. »

M. Le Blant a eu bien raison d’étudier avec tant de soin ces inscriptions où il est parlé de la résurrection. Ce dogme est un de ceux qui ont eu le plus d’influence sur les destinées du christianisme. Aucun peut-être ne lui a plus gagné d’âmes. Il ne s’agissait plus d’une immortalité qui n’était qu’une espérance douteuse, comme celle de Platon et des sages amibes. Le christianisme la rendait certaine, et en même temps il la mettait à la portée de toutes les intelligences. Il a fait d’un principe philosophique une croyance populaire. En affirmant que l’âme et le corps ressuscitent ensemble, que l’immortalité est complète, que l’homme est assuré de renaître tout entier, comme il se connaît, dans la vie nouvelle, il supprimait entre elle et l’existence de ce monde ces abîmes que l’esprit des simples a peine à combler. Sous cette forme plus matérielle, il leur était plus facile de la concevoir, ils la comprenaient sans effort ; elle devenait vivante pour eux, et, comme les ombres de Virgile, ils tendaient les mains avec amour vers cette rive prochaine. C’est ce qui les faisait courir au supplice avec cette passion dont Lucien se moquait et que ne comprenait pas Marc-Aurèle. On voit bien aux inscriptions de leurs tombeaux que la mort ne les effrayait pas. Elles ne contiennent presque plus de ces lamentations si fréquentes dans les épitaphes antiques. Le mort semble avoir honte de gémir, et les survivans osent à peine le plaindre. Les opinions et les sentimens sont changés. Si parfois il arrive que la nature l’emporte, si elle se trahit par quelques gémissemens involontaires, ce sont des faiblesses rares et qu’on a grand soin de réprimer vite. « Ne vous attristez pas, avait dit saint Paul, touchant ceux qui dorment, comme font les autres hommes qui n’ont pas