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d’une importance capitale, que n’avaient pu atteindre les lois précédentes.

Restait à instituer les autorités qui auraient à diriger l’enseignement primaire. La loi en créait deux, le comité communal et le comité d’arrondissement. En 1835, on établit en outre un inspecteur par département, et ensuite, sur la demande des comités d’arrondissement, un inspecteur par arrondissement. Autre mesure excellente empruntée à la Prusse, d’après l’avis de M. Cousin, chaque département dut avoir son école normale entretenue sur les fonds départementaux. Le traitement de l’instituteur ne pouvait jamais être inférieur à 200 fr. La commune devait lui fournir une maison d’habitation et verser entre ses mains le produit de la rétribution des élèves, fixée par le conseil communal. La religion était comprise dans les matières dont l’enseignement est obligatoire ; mais les enfans des dissidens pouvaient recevoir à part les leçons des ministres de leur culte. Telles sont les principales dispositions de la loi de 1833, à laquelle le nom de M. Guizot reste attaché, et qui est sans contredit la mesure la plus utile du règne de Louis-Philippe.

Dans son ensemble, la loi de 1833 est une bonne loi, puisqu’elle a été efficace et qu’elle a amené la fondation de nombreuses écoles ; mais c’est une loi timide. Si, conformément à l’avis de M. Cousin, on avait proclamé l’enseignement obligatoire, comme l’élan eût été plus général, plus énergique ! Le peuple et les pouvoirs publics se sentant sous la contrainte d’un devoir à remplir, comme le progrès eût été plus rapide, plus universel ! Pour ne pas imposer à la parcimonie malentendue des communes des sacrifices auxquels elles n’étaient point habituées, le traitement de l’instituteur fut fixé à ce chiffre dérisoire de 200 francs, chiffre poignant quand on songe à tout ce qu’il représente de privations et d’humiliations. Ce fut une faute ; c’est montrer trop peu de respect pour l’enseignement que de ne pas garantir à ceux qui le distribuent même le salaire d’un manœuvre. L’autorité morale du maître souffre des misères de sa condition[1].

Les deux comités superposés étaient une excellente institution, et M. Guizot multiplia ses efforts pour les éclairer et pour leur inspirer le zèle dont il était animé lui-même. Ses efforts semblent avoir été vains. Ces comités, qui, aux États-Unis, en Angleterre et même au Canada, sont l’âme de l’enseignement primaire, ont rendu peu de services en France. Malheureusement dans ce pays, déshabitué depuis l’ancien régime de se gouverner lui-même, les

  1. ) En 1846, M. de Salvandy, voulant améliorer la position des instituteurs, montra que plus de la moitié, c’est-à-dire 23,000, ne recevaient pas, tout compris, 600 francs, et que 18,155 n’arrivaient même pas à 500 francs. Pour un père de famille, et la plupart l’étaient, c’était plus que la gêne, c’était la misère.