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à remettre au clergé l’instruction du peuple. L’ordonnance du 29 février 1816 renferme, outre un excellent préambule, une disposition qui eût été très féconde, si on l’avait appliquée. L’article 14 porte : « Toute commune sera tenue de pourvoir à ce que les enfans qui l’habitent reçoivent l’instruction primaire et à ce que les enfans indigens la reçoivent gratuitement. » Mais comment obliger les communes à exécuter cet article, au moyen de quels fonds y pourvoir ? Voilà ce qu’il aurait fallu régler pour arriver à un résultat pratique. A défaut de dispositions coercitives, il ne se produisit aucune amélioration notable. La situation de l’enseignement populaire était des plus affligeantes ; il suffit de parcourir les pièces officielles pour s’en convaincre. On lit dans une circulaire de M. de Guernon-Ranville aux recteurs, du 20 janvier 1830 : « Les écoles manquent ou s’écroulent, des livres sont vainement demandés à des parens indigens ; des instituteurs plus indigens encore végètent péniblement, en proie aux plus rudes privations : tel est le tableau désolant que présente depuis trop longtemps l’instruction primaire. » La restauration à sa chute laissa, paraît-il, 20,000 communes pourvues d’une école quelconque ; mais ce qu’étaient ces écoles, on le sut plus tard, quand M. Guizot eut envoyé par toute la France 490 inspecteurs pour les visiter. M. Lorain a résumé les résultats de cette inspection générale, l’une des plus complètes et des mieux dirigées qu’on ait faites dans aucun pays et qui s’étendit à 33,456 établissemens, tous inspectés et décrits dans les rapports adressés au ministre. On voit dans ce livre le tableau peint sur le vif de ces misérables écoles, de ces maîtres plus misérables encore, et l’on peut se convaincre une fois de plus de l’impuissance radicale de l’initiative privée en fait d’enseignement primaire, — même avec l’appui d’une église protégée et puissante et avec le concours de congrégations nombreuses et animées d’un esprit ardent de prosélytisme. M. de Guernon-Ranville, le dernier ministre de l’instruction publique de la restauration, ayant compris qu’il fallait une intervention énergique de l’état, avait publié le 14 février 1830 une ordonnance qui contient des prescriptions réellement efficaces. Toute commune était obligée de pourvoir à l’enseignement primaire et de fixer un traitement convenable pour l’instituteur. Elle devait faire face aux frais soit sur ses ressources ordinaires, soit au moyen d’un impôt extraordinaire. Quand la commune était trop pauvre, le département lui votait un subside, et en cas de besoin l’état pourvoyait au déficit. Des écoles modèles devaient être établies pour former des instituteurs. Les principes généraux de cette loi étaient si bien conçus, qu’ils furent repris trois ans après par M. Guizot ; mais le gouvernement de la restauration n’eut pas le temps de les appliquer, et d’ailleurs il lui aurait sans doute manqué l’énergie, le