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essaient de le démontrer[1], c’est là une grosse question que nous ne pouvons discuter ici ; mais les faits prouvent sans réplique que, s’il est des domaines d’où la main du pouvoir se retire, il en est d’autres où elle tend à s’avancer, soit pour aider et stimuler, soit pour prévenir et punir. Autrefois, pour ne citer qu’un exemple, la loi réglementait le travail et les échanges, et l’administration appliquait ces règlemens ; aujourd’hui la liberté absolue tend à devenir la règle. Dans le cercle de la production économique, l’état a donc perdu du terrain ; mais, à mesure que l’humanité s’ouvre une sphère nouvelle d’activité, de nouvelles lois se font pour réprimer les délits qui peuvent s’y commettre. En second lieu, la conscience publique devient plus sensible sur certains points. Ce qui jadis, avec des mœurs plus violentes et une perception plus confuse de nos obligations morales, semblait naturel paraît aujourd’hui odieux, par exemple le pillage des villes prises d’assaut, le massacre des prisonniers, l’esclavage, le servage, le travail des enfans dans les mines et dans les manufactures, cette forme moderne et particulièrement poignante de la servitude des faibles. Or c’est dans cette dernière catégorie de méfaits aperçus de nos jours par la conscience mieux éclairée qu’il faut ranger le délit des parens qui privent leurs enfans de toute nourriture intellectuelle. C’est donc en vain qu’on parlerait à ce sujet de l’incompétence croissante et de l’abdication nécessaire de l’état. Il est plus d’un crime que l’on considérait jadis d’un œil indifférent, et dont le public, plus pénétré du sentiment de justice, réclame aujourd’hui la répression. Cette question préliminaire résolue, il reste à prouver que, pour répandre l’instruction dans tous les rangs d’un peuple, il faut la proclamer obligatoire. Voici comment s’exprime à ce sujet un éminent écrivain qu’on a jugé diversement comme philosophe, mais dont nul n’a contesté l’autorité en matière d’enseignement : « Une loi qui oblige les parens, les tuteurs, les maîtres d’ateliers ou de fabriques à justifier, sous des peines correctionnelles plus du moins fortes, que les enfans confiés à leurs soins reçoivent les bienfaits de l’instruction publique ou privée, sous ce principe que la portion d’instruction nécessaire à la connaissance et à la pratique de nos devoirs est elle-même le premier de tous les devoirs et constitue une obligation sociale tout aussi étroite que celle du service militaire, selon moi, une pareille loi, légitime en elle-même, est absolument indispensable, et je ne connais pas un seul pays où cette loi manque et où l’instruction populaire soit florissante. » L’expérience générale prouve la vérité de

  1. Nul n’a mieux défendu cette manière de voir, peu en faveur maintenant, que M. Dupont-White. Il a retourné la question de tant de côtés différens et l’a éclaircie de tant de considérations originales et tirées des faits, qu’il y a grand profit à lire ses ouvrages, même et surtout pour ceux qui ne partagent point son opinion.