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bienfaits de l’instruction ! L’état croit pouvoir, en vue de sa sécurité, imposer au jeune homme la dure obligation de quitter son foyer, sa famille, son travail, de perdre dans les casernes quelques-unes de ses plus belles années, de verser même son sang et d’obéir à la volonté d’autrui ; il s’empare de l’homme, le retient sous les drapeaux, lui enseigne le maniement des armes et le punit très sévèrement, s’il se dérobe à cet enseignement forcé. Voilà ce que fait l’état, et il ne pourrait pas obliger un enfant à s’instruire, à devenir un citoyen utile à soi et aux autres ! Il pourrait établir l’impôt du sang, et il n’aurait pas le droit de décréter la bienfaisante conscription des lumières et de la civilisation ! Imposer la caserne serait légitime et imposer l’école serait inique !

On invoque encore la liberté de l’enseignement, que l’instruction obligatoire viole, affirme-t-on. Cette objection n’a point de fondement sérieux. Le père est libre de donner lui-même l’éducation à ses enfans dans le sein de la famille, ou de les envoyer dans tel établissement qu’il voudra. La seule chose qu’il ne peut faire, c’est de ne pas les instruire du tout. Liberté d’enseignement ne peut jamais signifier liberté de l’ignorance. De ce que les parens ont la garde et la direction de l’enfant, il ne s’ensuit pas qu’il leur soit permis de le faire mourir de faim. Ces objections faites au nom de la liberté individuelle et de la liberté de l’enseignement paraissent bien suspectes, quand on les voit soulevées surtout par ceux qui redoutent la liberté et s’effraient du progrès, tandis que les défenseurs habituels de la liberté et le peuple lui-même, qui doit subir la contrainte, réclament l’instruction obligatoire.

Ainsi donc, ou bien il faut soutenir que le père qui refuse d’instruire ses enfans ne commet pas un acte sujet à répression, ce qui est nier les principes les plus incontestés du droit naturel et même du droit positif, ou bien il faut admettre que la société peut contraindre les parens à remplir les obligations contractées envers ceux à qui ils ont donné le jour. Or ce que la société peut faire dans ce cas-ci, elle doit le faire. Son droit est en même temps un devoir. L’état, comme tout homme, est tenu, dans la mesure du possible, de faire respecter la justice et de protéger ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes. Ce principe est si généralement admis que chaque fois qu’il s’agit de l’intérêt des mineurs, la société intervient par ses représentans judiciaires, et qu’elle ne permet pas au père de dilapider la fortune de ses enfans. S’agit-il de leurs intérêts d’argent, nul ne repousse cette intervention ; s’agit-il de leur intérêt moral et spirituel, on crie à l’arbitraire ! D’où vient cette contradiction ? C’est que jusqu’à ce jour les hommes ont attaché plus de prix à la conservation de leurs biens qu’au développement de leurs facultés intellectuelles. Et cependant aussi grande est la