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leurs enfans, des alimens étant aussi indispensables à l’esprit qu’au corps. On pourrait ici multiplier les citations ; nous n’en ferons qu’une, empruntée au fondateur de la science, au premier qui ait essayé de formuler en un corps de doctrines les prescriptions de la conscience. Les enfans, dit Puffendorf, ont le droit d’exiger de leurs parens la nourriture, et par nourriture, ajoute-t-il, il faut entendre non-seulement tout ce qui est nécessaire, pour la conservation de la vie, mais tout ce qui est indispensable pour former les enfans à la société et à la vie civile[1]. Les écrivains venus après Puffendorf ont presque tous répété ses paroles, et le code civil les a consacrées dans un texte précis. L’article 203 porte : « Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfans, » Dans la pensée du législateur, élever signifie instruire ; sinon, ce mot serait une répétition inutile de nourrir, et contractent ensemble veut dire qu’ils s’obligent non l’un vis-à-vis de l’autre, comme on l’a prétendu, mais tous deux solidairement et l’un à défaut de l’autre. Les parens doivent à leurs enfans la nourriture du corps et celle de l’esprit, tel est le sens de l’article 203. L’article 385 du même code le prouve avec évidence. Il impose au père ou à la mère survivant, qui jouit de l’usufruit des biens des mineurs, la charge expresse de leur donner « une éducation en rapport avec leur fortune. » Ici la pénalité qui frappe les parens est d’application facile : c’est la privation de l’usufruit. Il suffirait d’ajouter dans le même esprit une sanction pénale à l’article 203 pour rendre l’instruction obligatoire dans la pratique. Le principe en est inscrit dans nos lois civiles ; ce qui manque, c’est l’indication de la peine qui doit frapper celui qui n’obéit pas à la loi. Telle est l’opinion des commentateurs les plus estimés du code.

Chaque fois que des hommes de science et des philanthropes se réunissent pour chercher le moyen d’améliorer la condition du peuple, ils proclament l’urgente nécessité de rendre l’enseignement obligatoire. Tous les congrès qui ont eu lieu sur le continent dans ces dernières années se sont prononcés dans ce sens. Naguère

  1. Un jour j’entendis un mot qui fit pénétrer jusqu’au fond de mon cœur la force de cet argument. En descendant dans l’Engadine par le col de Fluela, je rencontrai une femme du village de Süss, où je me rendais, et je cheminai avec elle. Je lui parlai de ses enfans et lui demandai s’ils allaient à l’école. « Mais ils y sont tous obligés, me dit-elle. N’en est-il pas de même chez vous ? » — Quand je lui répondis que non, son étonnement fut grand. « Comment se peut-il, reprit-elle, qu’il y ait au monde des pays où des parens puissent commettre impunément ce crime de ne pas instruire leurs enfans ? » En parcourant ensuite la haute vallée de l’Inn, j’admirai ces beaux villages si prospères dans une région que la neige couvre pendant six mois, et dont le climat est celui du cap Nord ; mais je comprenais comment tant de bien-être pouvait subsister sous un ciel si rude. L’instruction avait fait ici le miracle qu’elle fait partout.