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que je sois là, je me serais crue rejetée de Dieu. Au lieu de cela, Dieu a permis que tu t’endormes sur mon bras du sommeil qui conduit au bonheur, ta main cessant de sentir dans la mienne, tes yeux cessant de voir en me regardant, et si tu as eu encore une ombre de sensation, tu as senti une vague douceur à me savoir là, à te voir soutenu par moi !

« Oh ! douce union éternelle ! Mon Dieu, merci de m’avoir fait goûter un si délicieux bonheur, d’avoir tellement rempli ma vie !

« Jésus ! je t’ai donné mon bonheur : donne-moi ta foi ! »


Ajoutons à cet adieu cette courte prière écrite huit jours après la mort d’Albert, qui clôt noblement le livre et qui en résume noblement l’esprit :


« Mon Dieu, ne sépare pas ce que toi-même tu as uni ! Souviens-toi, mon Dieu, mon père, et pardonne-moi ma hardiesse. Souviens-toi que nous nous sommes toujours souvenus de toi ! Souviens-toi qu’il n’y a pas même eu un billet d’amour écrit entre nous où ton nom n’ait été prononcé et ta bénédiction appelée ! Souviens-toi que nous t’avons beaucoup prié ensemble ! Souviens-toi que nous avons toujours voulu que notre amour fût éternel ! »


Nous n’avons encore que la première partie des souvenirs de Mme Craven, et cette première partie nous fait vivement désirer la seconde, car c’est là seulement que nous pourrons faire plus ample connaissance avec une personne qui ne fait que traverser le livre épisodiquement, mais qui durant ses trop passagères apparitions a eu le temps d’éveiller en nous un intérêt sympathique qu’elle ne peut manquer du reste d’éveiller chez quiconque se connaît en âmes. Cette personne est Mlle Eugénie de La Ferronnays, sœur cadette d’Albert et de l’auteur du livre. Il est vraiment délicat d’oser exprimer une préférence parmi tant de jeunes et charmantes figures que le zèle pieux d’une sœur a pris soin de placer toutes sous la même sympathique lumière, afin que le lecteur pût ressentir pour elles toutes indistinctement quelque chose de cette égalité d’affection qu’elle leur portait. Cependant Mme Craven, nous le croyons, excusera une préférence qu’elle-même n’a pu s’empêcher d’avouer, et elle ne s’étonnera pas trop si nous lui disons que les pages trop peu nombreuses signées du nom de Mlle Eugénie de La Ferronnays se détachent sur le reste du livre avec un incontestable éclat. Au premier abord, on ne les aperçoit pas ces pages, perdues qu’elles sont dans un appendice placé à la fin du volume, en sorte que le lecteur trop pressé court risque de fermer le livre sans les connaître, ce qui serait fâcheux, car elles révèlent une âme des plus rares, une âme trois fois noble, et selon le monde, et selon la nature, et selon Dieu. C’est tout à fait une demoiselle de haute condition que Mlle Eugénie de La Ferronnays, a gentlewoman, comme on dit dans la