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il me l’a dit à moi-même, que j’ai un goût tout naturel pour ces sortes de soins, que j’aime les tripotages, les petits arrangemens, que je m’ennuierai quand Albert sera bien portant, que cela me manquera, qu’il n’y a pas de plus grand amusement pour moi que droguer, soigner, ranger… » Et ailleurs, dans une lettre à M. de Montalembert : « Si vous saviez, cher Montal, comme je suis enfouie corps et esprit dans le ménage, cela vous ferait pitié et en même temps vous ririez bien ; il ne reste plus vestige de la poétique Alexandrine, entourée comme elle l’est de provisions d’huile, de pommes de terre, de riz, de chandelles, et sachant, je vous prie de le croire, ce que tout cela vaut et jusqu’au prix d’un œuf… Albert trouve que la première feuille de ma lettre sent furieusement la cuisine. C’est vrai, j’en rougis, pardon ; mais figurez-vous que notre pauvre petite vieille est si peu habile, que moi je lui apprends à faire des plats, et cela m’est si nouveau que j’en informe tous mes amis ; puis je me suis laissé entraîner par votre fraternelle demande à vous donner toute sorte de détails de ménage. Pardon ! pardon ! »

Cependant cette facile et joyeuse abdication d’elle-même n’était en quelque sorte que la partie vulgaire de l’affection de Mme de La Ferronnays. Il était en son pouvoir de donner à son mari une preuve d’amour autrement noble que ces soins de ménagère et cette vigilance de garde-malade ; elle la donna. Ce souci de l’âme d’Alexandrine, qui s’était uni dans le principe à la passion qu’elle lui inspirait, n’avait jamais cessé de préoccuper Albert. Il avait toujours conservé l’espoir que sa femme embrasserait la religion catholique, et autour de lui tous les membres de cette pieuse famille de La Ferronnays, dont un aimable prélat napolitain, Mgr Porta, disait : Sono tutti santi, partageaient cette espérance. Plusieurs fois Mme de La Ferronnays, pressée et comme doucement assaillie par les instances pleines de sollicitude de ses belles-sœurs, avait dû expliquer les motifs fort honorables de sa résistance. L’obstacle était ailleurs que dans sa volonté, car elle n’avait, pour entrer dans l’église catholique, à vaincre aucun préjugé ni aucune répugnance, et on peut dire au contraire que tous ses instincts la portaient vers la religion de son mari. Elle avait vécu trop longtemps en Italie, au milieu des symboles et des formes du culte catholique, pour conserver un attachement bien grand aux formes particulières du protestantisme. Elle avait des sentimens profondément religieux, mais les pages où elle les exprime ne révèlent en rien la protestante, et si l’on n’était pas averti, on n’aurait aucune raison de ne pas les attribuer à une personne d’une autre communion, tant sont peu marquées chez elle ces habitudes de pensée et de style