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le voit supporter avec tant de flexibilité les plus grands écarts dans les conditions du milieu extérieur où il est plongé, — l’extrême froid ou l’extrême chaud, l’humidité ou la sécheresse, la lumière ou la nuit, la présence ou l’absence, ou du moins l’extrême inégalité de l’électricité atmosphérique. Cette indépendance est d’autant plus grande que l’animal est plus élevé dans l’échelle des êtres vivans. Eh bien ! suivant M. Claude Bernard, c’est encore là une illusion. L’être vivant ne paraît indépendant du milieu extérieur que parce qu’il porte avec lui un milieu intérieur dans lequel ses organes baignent en quelque sorte, et qui contient, comme emmagasinées dans son sein, toutes les conditions physico-chimiques (chaleur, électricité, humidité, etc.) nécessaires à la provocation des actions vitales. Ce milieu intérieur est le sang. C’est le sang qui permet à l’être vivant de supporter les plus grands changemens dans le milieu externe, parce qu’il se maintient lui-même dans une sorte d’équilibre moyen, dont les perturbations accidentelles sont les principales causes des maladies. Par un remarquable enchaînement, ce milieu intérieur, si nécessaire à l’organisme, est le produit de l’organisme. C’est le corps vivant qui se fait à lui-même son milieu, tandis qu’il doit sa propre vitalité initiale au milieu maternel où il a pris naissance. Il y a donc là une corrélation réciproque du milieu avec l’organisme et de l’organisme avec le milieu, l’un étant nécessaire à l’autre : cercle qui rend très difficile à comprendre et à expliquer, dans l’état actuel de nos idées, l’origine première de la vie. Quoi qu’il en soit, il est certain que dans l’être vivant aucun phénomène ne peut se produire sans certaines conditions physico-chimiques, et que, ces conditions étant données, les propriétés vitales entrent immédiatement en fonction. Il est donc possible à l’expérimentateur d’agir sur les organes en agissant sur le milieu, et sous ce rapport le physiologiste est exactement dans les mêmes conditions que le chimiste et le physicien.

Reste enfin l’objection de Cuvier, l’harmonie et la solidarité qui existent entre toutes les parties du corps vivant. Cette harmonie incontestable serait-elle un obstacle à toute analyse ? Les phénomènes seraient-ils tellement liés les uns aux autres qu’en s’efforçant de les séparer on les détruise nécessairement ? C’est là une extrême exagération démentie par l’expérience. En définitive, même dans une machine brute, toutes les parties ont un rôle à remplir dans l’ensemble, et se correspondent en quelque sorte sympathiquement : cependant on peut analyser cette machine, isoler l’action de chacune de ces pièces distinctes, sauf à les replacer ensuite toutes dans leur action totale. Il est également possible de transporter les actes physiologiques en dehors de l’organisme afin de les mieux voir. Les digestions et les fécondations artificielles n’ont