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réduction quand elle est possible ; je dis seulement qu’il ne faut pas la supposer d’avance contre les données de l’expérience elle-même.

Qu’il y ait d’ailleurs une force vitale ou qu’il n’y en ait pas, M. Claude Bernard me paraît établir avec une parfaite rigueur qu’il y a un déterminisme absolu des phénomènes tout aussi bien dans l’ordre de la vie que dans l’ordre de la matière brute. La force vitale elle-même, fût-elle distincte des autres forces naturelles, devrait se manifester par une série de phénomènes rigoureusement liés, s’enchaînant les uns aux autres dans un ordre fixe et précis, de telle sorte que, l’un étant donné, l’autre s’ensuit nécessairement, de telle sorte encore que, telle condition venant à manquer, le phénomène ou se modifie ou disparaît, et qu’à telle autre condition correspond tel autre phénomène ; en un mot, rien n’est arbitraire, rien n’est laissé au hasard, à l’inconnu, à la fantaisie. Il s’ensuit que l’expérience a prise sur les phénomènes, car elle peut écarter successivement toutes les conditions accessoires d’un phénomène jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celle qui lui est essentiellement liée ; quand elle l’a trouvée, elle produit ou supprime le phénomène à volonté, ce qui n’aurait pas lieu si la production des phénomènes était capricieuse ou arbitraire et dépendait du seul bon plaisir de la force vitale.

Les hommes aiment tellement le pouvoir arbitraire qu’ils sont toujours tentés de le supposer partout : ils l’imaginent dans la force vitale lorsqu’ils lui attribuent la faculté de troubler et d’embrouiller les phénomènes par son activité désordonnée ; ils le supposent dans l’homme lorsqu’ils imaginent un libre arbitre absolument indifférent entre le oui et le non, et décidant entre les deux sans savoir pourquoi. Enfin ils le placent jusqu’en Dieu lorsqu’ils lui prêtent une volonté absolue, supérieure au bien et au mal, au vrai et au faux, décidant et créant par un sic volo, sic jubeo absolu. Ils ne s’aperçoivent pas que cette volonté souveraine, sans l’intelligence, n’est que le hasard lui-même, car le hasard n’est autre chose qu’une cause vide, une cause nue, une cause dans laquelle rien n’est prédéterminé, et où il n’y a pas de proportion entre la cause et l’effet.

Quoi qu’il en soit, M. Claude Bernard a parfaitement raison d’affirmer à plusieurs reprises que « l’indéterminé n’est pas scientifique. » C’est là un axiome fondamental de sa logique, et nous n’hésitons pas à l’admettre. Admettre des phénomènes indéterminés, c’est admettre des phénomènes sans cause. Par la même raison, il n’admet pas d’expériences contradictoires, car une même cause dans les mêmes circonstances ne peut pas produire deux phénomènes contraires. Lorsque deux expérimentateurs arrivent à des résultats différens, c’est donc tout simplement qu’ils ne se sont