Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’échapper suivant la tangente ; ce n’est plus une lampe qui se joue, c’est le pendule qui décrit des oscillations égales dans des temps égaux. Cet esprit qui dans le phénomène aperçoit la loi, et dans le particulier le général, ne serait-il lui-même qu’un phénomène particulier, ou, ce qui serait plus étrange encore, la rencontre fortuite de phénomènes accidentels ?

Quoi qu’il en soit, on peut se demander jusqu’où doit aller cette justification des hypothèses, et comment on distinguera, en cette matière délicate, ce qui est permis et ce qui est défendu. Effacera-t-on toute différence entre la méthode de Descartes et celle de Galilée et de Newton ? Ou la différence serait-elle uniquement dans la pratique, les uns tombant sur de bonnes hypothèses, les autres sur de mauvaises ? Non sans doute, et la vraie limite a été ici indiquée par Bacon lui-même. Ce qu’il blâmait dans la méthode hypothétique, c’était de s’élever subitement de quelques faits particuliers aux plus hautes généralités, à ce qu’il appelait les axiomes généralissimes, il recommandait au contraire de ne s’élever que par degrés dans la voie des généralités, et c’est pourquoi il disait, faisant allusion à un mythe célèbre de Platon, que ce qu’il faut à l’homme, ce ne sont pas des ailes, c’est du plomb. En d’autres termes, ce qui est utile, ce sont les hypothèses prochaines, liées par l’analogie aux faits observés ; ce qui est nuisible, ce sont les hypothèses éloignées, trop vides de faits, trop nuageuses et trop générales. Lorsque Franklin supposait que la foudre pouvait bien n’être qu’une étincelle électrique, il faisait une hypothèse prochaine, c’est-à-dire qu’il passait d’un fait à un autre tout voisin. Lorsque Descartes au contraire supposait que le monde planétaire était mû par des tourbillons, il s’élançait immédiatement et sans intermédiaire à une généralité plus ou moins vraisemblable. Au reste, même de telles hypothèses, si ambitieuses qu’elles soient, sont bien loin d’être sans utilité, et, pour le dire en passant, nous croyons que les systèmes philosophiques eux-mêmes peuvent avoir pour la science plus d’utilité que ne le croient les savans.

Un autre correctif de la méthode hypothétique indiqué par M. Claude Bernard, c’est le doute, et il loue ici avec raison le doute méthodique de Descartes ; n’oublions pas cependant pour être justes, que Descartes doutait volontiers des opinions des autres, mais assez peu des siennes propres. Le doute doit porter non pas sur les faits, mais sur les théories ; ce ne sont pas les faits qu’il faut sacrifier aux théories, ce sont les théories qu’il faut subordonner aux faits. Les théories ne sont que des moyens de recherche, des représentations approximatives et partielles de la vérité absolue ; elles ne sont pas la vérité absolue elle-même. Le doute en un mot n’est autre chose