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Venons d’abord aux critiques. Bacon, nous dit-on, n’a pas fait d’expériences, ou en a fait de mauvaises. Cela prouve tout simplement qu’il faut distinguer la théorie de la pratique. Autre chose est trouver les principes, autre chose donner les applications. M. Claude Bernard, dans son livre, propose de fonder une médecine vraiment scientifique sur la physiologie expérimentale. Fort bien ; mais pratique-t-il lui-même cette médecine ? s’en sert-il pour soigner et guérir les malades ? Non sans doute, il a autre chose à faire : à lui la théorie et la science, à d’autres l’application de ses idées. Pourquoi cette distinction de la théorie et de la pratique, que le savant fait tous les jours pour son propre compte, pourquoi ne l’applique-t-il pas au logicien, qui, lui aussi, n’est qu’un théoricien ? Galilée, nous dit-on, faisait des expériences pendant que Bacon se contentait de dire qu’il en fallait faire ; le premier fondait cette science, que le second ne faisait qu’annoncer. Mais pourquoi deux hommes de génie n’auraient-ils pas à la fois la même idée, l’un en pratique, l’autre en théorie ? Et en quoi la gloire de Galilée contredit-elle celle de Bacon ? N’est-ce pas d’ailleurs un vrai trait de génie de la part de celui-ci d’avoir deviné que cette méthode toute neuve et à peine éprouvée était le renouvellement de la science et de l’esprit humain ? Descartes sans doute était un homme de génie plus inventeur que Bacon ; il lui est passablement postérieur ; il a certainement connu les expériences de Galilée et même de Torricelli et d’autres encore ; il en a fait lui-même. Et cependant il n’a pas deviné la révolution faite par ces grands expérimentateurs. Il a continué à voir dans la méthode expérimentale une méthode subalterne et d’une importance secondaire. Il n’était donc pas si facile d’avoir l’idée de Bacon, même en ayant sous les yeux plus d’exemples qu’il n’en avait eu. On est frappé de la même vue en lisant les écrits des savans et des logiciens au XVIIe siècle, Newton excepté. En veut-on un exemple bien frappant ? Pascal a fait lui-même de grandes expériences et associé son nom à celui de Torricelli dans la théorie de la pesanteur de l’air. Eh bien ! il nous a laissé quelques fragmens de logique’ : de quoi traitent-ils ? De la méthode géométrique ; pas un mot sur la méthode expérimentale. Dans Leibniz, qui est si ouvert à toutes choses et presque d’un siècle postérieur à Bacon, la méthode expérimentale est à peine indiquée et comme noyée dans l’ensemble des procédés recommandés par les logiciens. Quant à Galilée, est-il bien certain qu’il ait eu lui-même l’idée claire de la révolution scientifique qu’il accomplissait, et n’attachait-il pas beaucoup plus d’importance à la démonstration géométrique de la rotation de la terre qu’à ses expériences sur la chute des corps ?

M. Claude Bernard nous dit que les préceptes de Bacon sont