Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Berthelot enfin, dans une remarquable introduction à sa Chimie organique, a largement développé le rôle de l’analyse et de la synthèse, en insistant particulièrement sur les progrès qu’il a fait faire lui-même à la méthode synthétique.

Ainsi l’on voit tous les grands savans, à toutes les époques, se plaire à recueillir leurs idées sur les opérations de leur esprit, à expliquer les procédés qui leur ont réussi, à en donner les exemples et les règles. Par une étude approfondie de ces divers travaux, le philosophe réussirait à se former ce que j’appellerais volontiers la psychologie de l’esprit scientifique. On arriverait ainsi à comprendre ce que c’est que l’esprit du savant, de quel point de vue il considère les choses, comment il associe les idées, comment il passe du connu à l’inconnu, comment il se trompe, comment il se corrige, comment il invente, et on pourrait tirer de là de grandes conséquences pour l’éducation même de l’esprit humain ; mais laissons là ces vues ambitieuses, et bornons-nous, quant à présent, à bien faire connaître le livre que nous avons sous les yeux, et qui vient enrichir d’une œuvre nouvelle cette histoire de la logique faite par les savans dont nous avons esquissé quelques traits.


I

Commençons par une petite querelle : c’est à propos du chancelier Bacon, notre maître à tous, mais dont le nom a toujours été et est encore une pomme de discorde entre les savans et les philosophes. L’auteur, sans contredit, parle très-noblement de la philosophie, et il ajoute qu’il aime beaucoup les philosophes. Je lui répondrai que, pour ma part, j’aime infiniment les savans ; mais enfin il faut reconnaître que, tout en s’aimant beaucoup, philosophes et savans sont assez disposés à prendre leurs avantages un peu aux dépens les uns des autres. Les philosophes ont longtemps essayé, selon l’expression de M. Claude Bernard, « de régenter dogmatiquement » les sciences. Ils ont eu tort, et ce n’est plus le temps aujourd’hui de régenter personne ; mais ce n’est pas une raison pour méconnaître ou trop affaiblir la part qu’ils ont pu avoir dans l’avancement des sciences. Celle de Bacon me paraît considérable, et un peu trop réduite ici par notre savant physiologiste : qu’il nous soit donc permis de dire en quelques pages, ou plutôt de répéter après M. de Rémusat[1], tout ce qui peut être allégué en faveur de l’illustre auteur de l’Instauratio magna.

  1. Le livre de M. de Rémusat sur Bacon est l’un des plus intéressans, des plus instructifs et des mieux faits de la philosophie contemporaine. Il a établi sur Bacon la vérité définitive sans rien exagérer, sans rien diminuer. Le livre de Joseph de Maistre est un pamphlet amusant, mais sans aucune valeur philosophique.