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aux tribus pastorales, il est naturel qu’on ait regardé l’invention des arts comme une audace impie.

La chute de l’homme et celle des anges ou des titans, la lutte des géans contre les dieux se retrouvent dans toutes les mythologies ; mais tantôt ces symboles se présentent sous un aspect physique, qui est sans doute leur forme primitive, tantôt ils prennent un caractère exclusivement moral et humain. Dans le Livre sacré, les âmes, irritées de leur incarnation, se livrent à toute sorte d’excès. Ne pouvant rien contre les dieux, les hommes se déchirent les uns les autres, comme les fils de la terre nés des dents du dragon et les hommes de la race d’airain dans les légendes grecques. Les élémens, souillés par le sang répandu et par l’odeur du meurtre, se plaignent à Dieu des crimes des hommes, et le prient d’envoyer sur la terre un effluve de lui-même pour corriger le mal et régénérer l’humanité. Cette régénération, opérée par Osiris, n’est pas une véritable rédemption, puisqu’il n’y a pas, comme dans le christianisme, l’idée du sacrifice d’un dieu pour le salut des hommes ; on pourrait plutôt la comparer à l’œuvre accomplie dans l’Inde par le Bouddha, en Grèce par Hèraklès et Dionysos.

Tel est en substance le premier et le plus important fragment de ce livre étrange. Tout cela est chargé de noms mythologiques dont plusieurs ont dû être altérés par les copistes. On a essayé de les corriger et de les expliquer, mais je crains bien que dans ces essais de restitution on n’ait quelquefois donné trop de place à l’hypothèse. Sur la foi d’un texte suspect et d’une correction arbitraire, on a admis dans le panthéon égyptien une déesse Hèphaistoboulé, parfaitement inconnue d’ailleurs. Hermès ne me paraît pas une autorité en fait de mythologie égyptienne ; autrement il faudrait accepter aussi Arnebaskènis, dieu de la philosophie, et la froide allégorie de l’Invention, fille de la Nature et du Travail. Je doute que les anciens Égyptiens aient jamais connu ces divinités-là. Quant à la date du Livre sacré, je ne vois aucun indice qui permette de l’établir. Il appartient à cette période de rénovation religieuse produite par la rencontre de la philosophie grecque et des doctrines orientales et égyptiennes ; mais ce mouvement a duré plusieurs siècles, et des œuvres par lesquelles il a marqué sa trace un petit nombre seulement nous est parvenu. Pour classer le Livre sacré, il faudrait des termes de comparaison qui nous manquent.

Tel qu’il est cependant, le Livre sacré représente la philosophie gréco-égyptienne, comme Philon la philosophie gréco-juive. Malgré la rhétorique pompeuse de l’auteur, résultat de son éducation grecque, des signes certains le font reconnaître pour Égyptien. Ainsi Hôros demande à sa mère pourquoi les Égyptiens sont si supérieurs