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enseignemens, s’ils avaient été écrits, seraient fort utiles aux hommes ; il cite ensuite quelques opinions de ce bon démon : ce sont des aphorismes panthéistiques. Ne peut-on pas supposer qu’il s’agit ici d’Ammonios Saccas, chef des néoplatoniciens, qui, comme on le sait, n’a jamais mis ses enseignemens par écrit ? Il est vrai que le bon démon est pris en général pour un personnage abstrait qui se confond avec l’intelligence suprême : cette allusion à Ammonios Saccas serait donc bien vague ; mais elle ne pouvait être plus claire, puisque l’auteur écrivait sous le pseudonyme d’Hermès. Entre la crainte de trahir sa fraude en nommant un contemporain et le désir de rendre un témoignage public à son maître, il a dû prendre un terme moyen et désigner sous le nom de bon démon celui qui l’avait initié à la philosophie. L’auteur de ce dialogue serait ainsi quelque obscur condisciple de Plotin, hypothèse que confirme la ressemblance des doctrines, et cette ressemblance n’est pas particulière au dialogue où l’on peut voir une allusion à Ammonios Saccas, elle s’étend à la plupart des autres.

Dans cette population mixte d’Alexandrie, la fusion devait s’opérer rapidement entre les idées, peut-être même entre les races. Où sont les thérapeutes juifs à la fin du IIe siècle ? Les uns, convertis au christianisme, sont devenus des anachorètes ou des gnostiques basilidiens et valentiniens, les autres se rapprochent de plus en plus du paganisme, je dis du paganisme et non pas du polythéisme, car à cette époque tout le monde admet dans l’ordre divin une hiérarchie bien déterminée avec un Dieu suprême au sommet ; seulement ce Dieu suprême est pour les uns dans le monde, pour les autres hors du monde. À chaque instant, dans les livres d’Hermès, on lit une tirade sur l’unité divine ; on croit avoir affaire à un chrétien ou à un Juif, et quelques lignes plus bas on trouve des phrases qui vous rappellent qu’il s’agit du dieu du panthéisme : « non-seulement il contient tout, mais véritablement il est tout ; » — « il est tout, et il n’y a rien qui ne soit lui ; » — « il est ce qui est et ce qui n’est pas, l’existence de ce qui n’est pas encore. » Pour désigner ces doctrines, qui dérivent bien plus de celles de l’Égypte que de celles de la Grèce, le nom d’hellénisme ne serait pas juste ; il vaut mieux conserver le terme vague et général de paganisme qu’on applique vulgairement à toutes les croyances que le christianisme a remplacées.

Sous l’influence de l’école grecque d’Alexandrie, une sorte de gnosticisme païen succéda, dans l’école hermétique, au gnosticisme juif du Poimandrès et du Sermon secret sur la montagne. Au lieu de quelques expressions qui rappelaient la Bible, on trouve des souvenirs de la mythologie grecque, souvenirs très vagues et