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milieu de tant de sectes, de subdivisions et de nuances, quelques-uns faisaient un choix, mais la plupart prenaient des deux mains, à droite et à gauche, tout ce qui se présentait[1]. Les questions n’étaient pas posées à cette époque comme nous les poserions aujourd’hui ; ce qui nous paraît fondamental était relégué au second plan, et on discutait à perte de vue sur des points qui nous semblent de peu d’importance. On s’aperçoit souvent, en lisant l’histoire des sectes philosophiques et religieuses, que c’est presque toujours entre les écoles les plus voisines que s’engagent les luttes les plus vives. Séparés des gnostiques par quelques principes particuliers, les néoplatoniciens et surtout les hermétiques s’en rapprochaient par l’ensemble de leurs idées : « la seule voie qui mène à Dieu, c’est la piété unie à la gnose ; » — « la gnose est la contemplation, c’est le silence et le repos de toute sensation. Celui qui y est parvenu ne peut plus penser à autre chose, ni rien regarder, ni même mouvoir son corps ; » — « la vertu de l’âme, c’est la gnose ; celui qui y parvient est bon, pieux et déjà divin. »

Par ces tendances mystiques, qui se manifestent à chaque page, les livres d’Hermès se placent d’eux-mêmes entre les gnostiques et les néoplatoniciens, une telle ressemblance de doctrines suffirait presque pour les rapporter à la même époque. Je trouve d’ailleurs dans le dialogue intitulé : de l’Intelligence commune, un passage qui me paraît confirmer cette induction, et qui peut aider à fixer une date plus précise. L’auteur parle d’un bon démon dont les

  1. Une lettre de l’empereur Hadrien qui nous est restée fait bien comprendre l’activité mobile des habitans d’Alexandrie, activité qui se portait à la fois sur le commerce et sur la religion. « L’Égypte, dont tu me disais tant de bien, mon cher Servianus, je l’ai trouvée légère, mobile, changeant de mode à tout instant. Les adorateurs de Sarapis sont chrétiens, ceux qui s’appellent évêques du Christ sont dévots à Sarapis. Il n’y a pas un chef de synagogue juive, un samaritain, un prêtre chrétien qui ne soit astrologue, aruspice, fabricant de drogues. Le patriarche lui-même, quand il vient en Égypte, est forcé par les uns d’adorer Sarapis, par les autres d’adorer Christ. Quelle race séditieuse, vaine et impertinente ! La ville est riche, opulente, féconde, personne n’y vit sans rien faire. Les uns soufflent du verre, les autres font du papier, tous sont marchands de toile, et ils en ont bien l’air. Les goutteux ont de l’ouvrage, les boiteux travaillent, les aveugles aussi ; personne n’est oisif, pas même ceux qui ont la goutte aux mains… Pourquoi cette ville n’a-t-elle pas de meilleures mœurs. Elle mériterait par sa grandeur et son importance d’être à la tête de toute l’Égypte. Je lui ai tout accordé, je lui ai rendu ses anciens privilèges, et j’en ai ajouté tant de nouveaux qu’il y avait de quoi me remercier. J’étais à peine parti qu’ils tenaient mille propos contre mon fils Vérus ; quant à ce qu’ils ont dit d’Antinoüs, tu dois t’en douter. Je ne leur souhaite qu’une chose, c’est de manger ce qu’ils donnent à leurs poulets pour les faire éclore, je n’ose pas dire ce que c’est. Je t’envoie des vases irisés de diverses couleurs que m’a offerts le prêtre du temple ; ils sont spécialement destinés à toi et à ma sœur pour l’usage des repas, les jours de fête ; prends garde que notre Africanus ne les casse. »