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αίών, ou les siècles, αίώνες, ont été personnifiés par les gnostiques et jouent un rôle dans leur mythologie. Il y a aussi des indications curieuses sur la société au sein de laquelle allait se développer le christianisme : ainsi la vertu qu’Hermès oppose à l’avarice est la communauté ou communion, χοινωνία. Si on se rappelle que les esséniens, d’après Josèphe et Philon, mettaient en commun leur salaire de chaque jour, comme on dit que le font les mormons, on s’étonne moins des tendances communistes qui se sont manifestées dans quelques sociétés chrétiennes. Les nicolaïtes, contre lesquels saint Jean s’élève dans l’Apocalypse, ont même été accusés d’étendre cette communauté aux femmes ; leur chef passait pour avoir mis la sienne en commun.

On peut suivre, dans les livres hermétiques les destinées de cette gnose judæo-égyptienne qui, au Ier siècle, a côtoyé le christianisme sans se laisser absorber, en passant insensiblement de l’école juive de Philon à l’école grecque de Plotin. Dans Philon, le judaïsme s’avouait hautement par de continuelles allusions à la Bible. Dans le Poimandrès et le Sermon sur la montagne, il se trahit çà et là par quelques réminiscences. Il y a d’autres dialogues, d’un caractère mixte, qu’on peut rapporter avec autant de vraisemblance à l’influence grecque ou à l’influence juive. Tel est celui qui a pour titre le Cratère ou la Monade. Cette coupe de l’intelligence dans laquelle l’âme se plonge ou se baptise est peut-être une image empruntée aux initiations orphiques ; on peut y trouver aussi, comme l’a fait remarquer Fabricius, le baptême et la régénération dans le sens chrétien. Les allusions aux cérémonies mystiques sont très fréquentes dans les auteurs grecs ; Platon parle du cratère où Dieu mêle les élémens du monde. La légende d’Empédocle, se plongeant dans le cratère de l’Etna pour devenir un dieu, est peut-être sortie d’une métaphore du même genre. On peut donc voir un souvenir des mystères dans ces paroles d’Hermès : « ceux qui furent baptisés dans l’intelligence possédèrent la gnose et devinrent les initiés de l’intelligence, les hommes parfaits : tel est le bienfait du divin cratère ; » mais on peut aussi rapprocher ce passage d’une parole de l’Évangile de saint Jean : « celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif ; mais l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d’eau vive qui jaillira jusque dans la vie éternelle. »

Entre toutes les doctrines rivales qui se partageaient les esprits, la distance n’était pas aussi grande qu’on pourrait le croire. Aussi passait-on facilement d’une religion à une autre ; on en avait même plusieurs à la fois pour plus de sûreté. Il y avait alors une soif universelle de croyances et on s’abreuvait à toutes les sources. Au