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une rumeur vague, l’expose sous une forme emphatique et prétentieuse qui n’a rien de commun avec la simplicité du style évangélique. Le fils de Dieu, l’homme unique, n’est pas pour lui un personnage réel et historique, c’est plutôt un type abstrait de l’humanité, analogue à l’homme idéal du Poimandrès, à l’Adam Kadmon de la kabbale, à l’Osiris du Rituel funéraire des Égyptiens. Il est vrai que les gnostiques donnèrent ce caractère au Christ, distinct pour eux de l’homme Jésus ; mais dans le dialogue hermétique le régénérateur n’est pas désigné sous le nom de Christ : on ne peut donc pas y reconnaître l’œuvre d’un gnostique chrétien. Pour admettre que l’auteur soit chrétien, il faudrait supposer qu’il dissimule à dessein une partie de ses croyances, que son enseignement écrit n’est qu’une introduction à un enseignement oral, et qu’il réserve aux seuls initiés le grand mystère de l’incarnation et le nom même du Christ. Cette hypothèse n’est point absolument inadmissible, cependant il ne semble pas qu’on doive s’y arrêter. Il est vrai que, selon la coutume de son temps, l’auteur prend un ton d’hiérophante ; mais aucune allusion n’indique qu’il garde quelque chose en réserve au-delà de ce qu’il dit. Poimandrôs est la seule autorité qu’il invoque ; il ajoute même : « Poimandrès, l’intelligence souveraine, ne m’a rien révélé de plus que ce qui est écrit, sachant que je pourrais par moi-même comprendre et entendre ce que je voudrais et voir toutes choses. » Après beaucoup de réticences et d’aphorismes amphigouriques, Hermès finit par se laisser arracher son secret, et, malgré les étonnemens de son disciple et la peine qu’il paraît avoir à comprendre, ce secret se réduit à une idée toute simple, c’est que, pour s’élever dans le monde idéal, il faut se dégager des sensations. On devient ainsi un homme nouveau, et la régénération morale s’opère d’elle-même. On n’a qu’à combattre chaque vice par une vertu correspondante, ce n’est pas plus difficile que cela.

Ce morceau peut se placer dans l’ordre des idées et des temps entre le Poimandrès et les premières sectes gnostiques ; il doit être peu antérieur aux fondateurs du gnosticisme, Basilide et Valentin. Le ton général d’exaltation qui y règne, cette obscurité qui vise à la profondeur, s’enivre d’elle-même et prend cette ivresse pour de l’extase, tout fait prévoir les aberrations mystiques du gnosticisme, contre lesquelles protesteront également les pères de l’église et les philosophes d’Alexandrie. Elles s’annoncent déjà dans des paroles comme celles-ci : « gnose sainte, illuminé par toi, je chante par toi la lumière idéale ; » — « ô mon fils, la sagesse idéale est dans le silence ; » — « à travers tes créations, j’ai trouvé la bénédiction dans ton éternité. » On sait que le silence, σιγή, l’éternité,