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mais non pas contredits par l’étude des hiéroglyphes. Dans ces renseignemens, il faut faire la part des faits et celle des interprétations. Les faits que les Grecs nous ont transmis sont généralement vrais et ne se contredisent pas ; seulement les explications qu’ils en donnent sont différentes. Les mêmes différences s’observent dans la manière dont ils parlent de leur propre religion ; elles tiennent à une loi générale de l’esprit humain, la loi de transformation dans le temps qui s’applique aux religions et aux sociétés comme aux êtres vivans. Si les Grecs ont appliqué à la religion égyptienne les mêmes systèmes d’herméneutique qu’à celle de leur pays, c’est que ces systèmes étaient admis en Égypte comme en Grèce, attendu que l’Égypte subissait à cette époque l’influence de la philosophie grecque.

Comme les formes extérieures de la religion égyptienne n’avaient pas changé, on la croyait immobile, et plus on en adaptait l’esprit aux systèmes philosophiques de la Grèce, plus on se persuadait que ces systèmes étaient sortis d’elle. Les Grecs avaient commencé par attribuer à l’Égypte leur éducation religieuse, opinion que la science moderne n’a pas ratifiée. Ils lui attribuèrent de même leur éducation philosophique, et là aussi les traces de l’influence égyptienne s’évanouissent lorsqu’on veut les saisir. Tous les emprunts de Platon à l’Égypte se bornent à une anecdote sur Thoth, inventeur de l’écriture, et à cette fameuse histoire de l’Atlantide, qu’il dit avoir été racontée à Solon par un prêtre égyptien, et qui paraît n’être qu’une fable de son invention. Quant à l’idée de la métempsycose, il l’avait reçue des pythagoriciens. Pythagore l’avait-il empruntée à l’Égypte ? Cela n’est pas impossible, mais on trouve la même idée chez les Indiens et chez les Celtes, qui ne doivent pas l’avoir reçue des Égyptiens. Elle peut se déduire de la religion des mystères, et comme les pythagoriciens ne se distinguent pas nettement des orphiques, on ne peut savoir s’il y a eu action de la religion sur la philosophie ou réaction de la philosophie sur la religion. Selon Proclus, Pythagore aurait été initié par Aglaophamos aux mystères rapportés d’Égypte par Orphée. Voilà l’influence égyptienne transportée au-delà des temps historiques.

L’action de l’Égypte sur la philosophie grecque avant Alexandre, quoique moins invraisemblable que celle de la Judée, est donc fort incertaine. Tout ce qu’on pourrait lui attribuer, c’est la prédilection de la plupart des philosophes pour les dogmes unitaires et les gouvernemens théocratiques ou monarchiques ; encore cette prédilection s’explique-t-elle aussi bien par la tendance naturelle de la philosophie à réagir contre le milieu où elle se développe. Dans une société polythéiste et républicaine, cette réaction devait aboutir