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disait en parlant du plus célèbre d’entre eux : « Ou Philon platonise, ou Platon philonise. » Philon, s’imaginant sans doute que la Grèce avait toujours été ce qu’elle était de son temps, prétend que des précepteurs grecs vinrent à la cour de Pharaon pour faire l’éducation de Moïse. Le plus souvent néanmoins le patriotisme l’emportait chez les Juifs sur la reconnaissance, et au lieu d’avouer ce qu’ils devaient à la philosophie grecque, ils soutenaient qu’elle avait emprunté ses principes à la Bible. Jusqu’à la période chrétienne, les Grecs ne paraissent pas avoir tenu compte de cette assertion. Il est vrai qu’on cite ce mot d’un éclectique alexandrin, Nouménios d’Apamée : « Platon n’est qu’un Moïse attique ; » mais que conclure d’une phrase isolée tirée d’un ouvrage perdu ? Tout ce qu’elle pourrait prouver, c’est que Nouménios ne connaissait Moïse que par les allégories de Philon, car il n’y a qu’une critique bien peu exigeante qui puisse trouver la théorie des idées dans le premier chapitre de la Genèse. Les emprunts des Grecs à la Bible ne sont guère plus vraisemblables que les précepteurs grecs de Moïse. Si Platon avait pris quelque chose aux Juifs, il n’eût pas manqué d’en introduire un dans ses dialogues, comme il y a introduit Parménide et Timée. Loin de nier leurs dettes, les Grecs sont portés à en exagérer l’importance. D’ailleurs, pour emprunter quelque chose aux Juifs, il aurait fallu les connaître, et avant Alexandre les Grecs n’en savaient pas même le nom. Plus tard, sous l’empire romain, quand les Juifs étaient déjà répandus dans tout l’Occident, Justin, racontant leur histoire d’après Trogue Pompée, rattache leur origine à Damascus ; les successeurs qu’il donne à ce Damascus sont Azelus, Adorés, Abraham et Israël. Ce qu’il dit de Joseph est presque conforme au récit biblique, mais il fait de Moïse un fils de Joseph et le chef d’une colonie de lépreux chassés de l’Égypte. Il ajoute qu’Aruas, fils de Moïse, lui succéda, que les Juifs eurent toujours pour rois leurs prêtres et que le pays fut soumis pour la première fois par Xerxès. Il se peut que Trogue Pompée ait consulté quelque tradition égyptienne ou phénicienne, mais assurément il n’avait pas lu la Bible ; il semble cependant que cela eût été facile de son temps.

On ne connaissait pas mieux la religion des Juifs que leur histoire. On savait qu’ils avaient un Dieu national, mais quel était-il ? Dedita sacris incerti Judœa Dei. Plutarque soupçonne que ce Dieu pourrait bien être Dionysos, qui, au fond, est le même qu’Adonis. Il s’appuie sur la ressemblance des cérémonies juives avec les bacchanales et sur quelques mots hébreux dont il croit trouver l’explication dans le culte dionysiaque. Quant à l’horreur des Juifs pour le porc, elle vient, selon lui, de ce qu’Adonis a été tué par un sanglier. Il eût été bien plus simple d’interroger un Juif. Les Grecs, il faut le