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Seulement il est nécessaire de déterminer avec précision ce qui appartient soit à l’Égypte, soit à la Judée, dans les livres d’Hermès Trismégiste. Quand on rencontre dans ces livres des idées platoniciennes ou pythagoriciennes, on peut se demander si l’auteur les a retrouvées à des sources antiques où Pythagore et Platon auraient puisé avant lui, ou s’il y faut reconnaître un élément purement grec. Il y a donc lieu de discuter d’abord l’influence réelle ou supposée de l’Orient sur la philosophie hellénique. On est trop porté en général, sur la foi des Grecs eux-mêmes, à exagérer cette influence et surtout à en reculer la date. C’est seulement après la fondation d’Alexandrie qu’il s’établit des rapports permanens et quotidiens entre la pensée de la Grèce et celle des autres peuples, et dans ces échanges d’idées la Grèce avait beaucoup plus à donner qu’à recevoir. Les peuples orientaux, ceux du moins qui se trouvèrent en contact avec les Grecs, ne paraissent pas avoir jamais eu de philosophie proprement dite. L’analyse des facultés de l’âme, la recherche des fondemens de la connaissance, des lois morales et de leur application à la vie des sociétés, sont choses absolument inconnues à l’Orient avant la conquête d’Alexandre. Le mot que Platon attribue aux prêtres égyptiens sur ses compatriotes : « ô Grecs, vous n’êtes que des enfans, et il n’y a pas de vieillards parmi vous, » pourrait être renvoyé à l’Orient et à l’Égypte elle-même. L’esprit scientifique est aussi étranger à ces peuples que le sens politique. Ils peuvent durer de longs siècles, ils n’atteignent jamais l’âge viril ; ce sont de vieux enfans, toujours menés par les lisières, aussi incapables de chercher la vérité que de conquérir la justice.

Initié à la philosophie par la Grèce, l’Orient ne pouvait lui donner que ce qu’il avait, l’exaltation du sentiment religieux. La Grèce accepta l’échange ; lasse du scepticisme qu’avait produit la lutte de ses écoles, elle se jeta par réaction dans des élans mystiques précurseurs d’un renouvellement des croyances. Les livres d’Hermès Trismégiste sont un trait d’union entre les dogmes du passé et ceux de l’avenir, et c’est par là qu’ils se rattachent à des questions toujours vivantes et actuelles. S’ils appartiennent encore au paganisme, c’est au paganisme de la dernière heure, toujours plein de dédain pour la nouvelle religion et refusant d’abdiquer devant elle, parce qu’il garde le dépôt de la civilisation antique qui va s’éteindre avec lui, mais déjà fatigué d’une lutte sans espérance, résigné à sa destinée et revenant s’endormir pour l’éternité dans son premier berceau, la vieille Égypte, la terre des morts.