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d’architecture développent leur variété pour le plaisir des yeux. Le tombeau devient alors un arc de triomphe colossal ; quelques-uns ont vingt statues, presque de grandeur naturelle. L’idée de la mort disparaît ; le défunt n’est plus couché attendant la résurrection et le jour suprême, il est assis et regarde ; « il revit » dans le marbre, comme dit ambitieusement une épitaphe. Pareillement les statues qui ornent son mémorial se transforment par degrés. Au milieu du XVe siècle, elles sont encore maintes fois raides et gênées ; les jambes des jeunes guerriers sont un peu grêles, comme celles des archanges du Pérugin ; elles sont chargées de genouillères et de bottines à tête de lion, dans lesquelles les réminiscences de l’armure féodale se mêlent à l’admiration du costume antique. Corps et têtes, tout avoisine le réel ; l’excellence des figures consiste dans leur sérieux involontaire, dans leur expression intense et simple, dans la force de leur attitude, dans leur regard fixe et profond. Aux approches du XVIe siècle, l’aisance et le mouvement leur viennent. Les draperies se tordent et se déploient grandement autour des corps robustes. Les muscles se soulèvent et se montrent. Les jeunes chevaliers du moyen âge sont maintenant des athlètes et des éphèbes. Les vierges, immobiles et encapuchonnées dans leurs manteaux sévères, commencent à sourire et à s’agiter. Leurs robes grecques froissées et tombantes laissent voir leur sein nu et la forme svelte de leurs pieds charmans. Penchées, demi-renversées, ployées sur le flanc, fièrement debout et songeuses, elles étalent sous leurs draperies tordues les diversités de la forme vivante, et l’œil suit les courbes harmonieuses du bel animal humain qui, au repos, en mouvement, dans toutes les attitudes, n’a qu’à se laisser vivre pour être heureux et parfait.

Nulle part elles ne sont plus belles que sur le tombeau du doge Vendramini[1]. L’art y est encore simple et dans sa première fleur, la gravité ancienne subsiste tout entière ; mais le goût poétique et pittoresque qui commence à poindre y verse déjà sa richesse et son éclat. Sous des arcades à fleurons d’or, dans une colonnade corinthienne, des guerriers et des femmes drapées à l’antique regardent ou pleurent. Ils ne se démènent point, ils ne cherchent point à attirer l’attention ; leur expression contenue n’en est que plus forte. C’est leur corps tout entier, c’est leur type et leur structure, c’est leur vigoureux col, leur ample et magnifique chevelure, c’est leur visage si peu nuancé qui parle. Une femme lève tristement les yeux au ciel ; une autre, demi-renversée, pousse un cri ; on dirait des figures de Jean Bellin. Elles sont de cet âge puissant et limité où

  1. Mort en 1470.