Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idiomes de l’Orient, M. Reinaud a rendu pour sa part un grand service aux lettres anciennes. Il a entrepris de retracer les relations politiques et commerciales de l’empire romain avec l’Asie orientale, c’est-à-dire l’Inde, la Bactriane et la Chine, pendant les cinq premiers siècles de l’ère chrétienne, d’après les témoignages arabes, persans, indiens, chinois, aussi bien que latins et grecs. M. Reinaud avait déjà donné un important mémoire sur le périple de la mer Erythrée qui pouvait servir d’introduction au présent volume : il avait résolu dans ce mémoire la question si contestée de la date de ce monument, sur laquelle on ne s’accordait pas. Il paraît incontestable désormais que le périple de la mer Erythrée n’est autre chose que le journal de bord d’un capitaine de marine marchande qui vivait sous le règne de Philippe l’Arabe et sous celui de son fils Philippe II, c’est-à-dire au milieu du IIIe siècle après Jésus-Christ.

Ce livre est un de ceux qui nous introduisent le mieux dans l’extrême Orient pendant l’époque impériale. La conquête d’Alexandre avait été évidemment le premier anneau de cette longue chaîne de rapports politiques ou commerciaux qui devait rapprocher les deux civilisations de l’Occident et de l’Orient. Cette conquête avait laissé après elle, soit dans la Bactriane, soit même au-delà de l’Indus et jusque sur les bords du Gange, de brillantes parcelles de l’esprit grec. Le lien établi dès lors avec l’Occident n’avait pas été entièrement rompu par le premier démembrement de l’empire d’Alexandre en trois groupes d’états, parce que les Ptolémées et les Séleucides s’étaient efforcés de continuer l’œuvre du conquérant. Toutefois les souverains d’Antioche se trouvèrent trop faibles bientôt pour maintenir sous une même domination presque toute l’Asie jusqu’à l’Indus, et le rôle échut à la seule Égypte d’entretenir encore les relations créées entre l’Occident et l’Orient. Alexandrie, que son admirable situation prédestinait, devint le rendez-vous de tous les systèmes, l’asile de toutes les religions, et aussi le point de rencontre de tous les échanges commerciaux. La domination désordonnée des Parthes ayant intercepté toutes les voies intérieures de l’Asie centrale, le commerce chargé de subvenir aux besoins incessans du luxe romain dut prendre la voie de mer pour gagner les côtes de la Chine et de l’Inde ; du port de Myos-Hormos, sur le golfe arabique, des centaines de vaisseaux appareillaient chaque année pour ces régions lointaines. Les relations diplomatiques se nouèrent à la suite de rapports si fréquens, et Marc-Antoine le premier faillit s’en servir au grand danger de Rome elle-même. Secondé par la puissante alliance de Cléopâtre, Antoine semblait devoir détacher tout l’Orient romain quatre siècles à l’avance ; il avait attiré dans son parti beaucoup de princes orientaux, et il comptait, avec leur secours, triompher d’Octave à Actium, puis triompher des Parthes et reprendre toute la conquête d’Alexandre jusqu’à la Bactriane et jusqu’à l’Indus. Il eût retrouvé d’anciennes et intimes alliances vers ces frontières éloignées ; Virgile, dans son tableau animé de la journée