Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

médailles de la géologie, et que les lits des roches sont les feuillets sur lesquels est écrite l’histoire de la formation de la terre.

Les couches de plâtre alternent avec des bancs de marne argileuse qui se délitent en minces feuillets à la façon des ardoises, et c’est entre ces feuillets que se retrouve la trace de tous ces insectes. M. Lapommeraye a recueilli avec le plus grand soin ces intéressans fossiles ; il a su les dégager et souvent les deviner quand ils étaient en partie recouverts ou même entièrement cachés par les lits de marne, et, taillant en forme régulière la plupart de ces échantillons, il en a fait de véritables objets d’art. On dirait une peinture en mosaïque sur des pierres artificielles, comme celles que l’on voit chez les bijoutiers de Rome, Florence, Naples, et représentant des insectes en noir sur un fond gris ou blanc. Pour la délicatesse du dessin, je donnerais même la palme aux fossiles du bassin d’Aix. Toutes les nervures de l’aile diaphane d’une mouche ou d’une libellule s’y trouvent reproduites, ainsi que les pattes effilées, la tête fine et les yeux délicats. Une araignée présente l’étrange phénomène d’une double série de pattes, soit qu’elle ait été prise au moment même de la mue, soit qu’un mouvement imperceptible imprimé au dépôt ait reporté à une faible distance une empreinte déjà commencée.

Le bassin à plâtre d’Aix n’est pas seulement riche en insectes fossiles ; on y rencontre aussi des batraciens, d’énormes grenouilles, dont quelques-unes ont été moulées dans l’acte même de la natation. Il y a encore une grande quantité de poissons. Parmi ces derniers, quelques-uns se sont tordus dans d’affreuses souffrances au moment où ils étaient pris dans le dépôt ; la queue est violemment retournée vers la tête, le corps plissé. D’autres poissons, saisis dans une eau plus calme, ont les nageoires développées, le corps bien lancé, la queue frétillante, et les écailles brillent de tout leur éclat. Ces poissons fossiles sont les frères de ceux du Monte-Bolca en Italie qui frappèrent si vivement l’imagination du général Bonaparte en 1797. Il en envoya à Paris de magnifiques échantillons que l’on peut voir encore au Muséum.

Pendant que ces animaux laissaient ainsi leur trace dans ce terrain d’argile marneuse et de gypse déposé par des eaux à la surface ou dans l’intérieur desquelles ils vivaient, des végétaux croissaient au bord de ces lagunes, et marquaient également leur empreinte dans les lits du terrain. Des branches, des troncs, des feuilles, des fruits, ont été retrouvés. Les conifères sont surtout abondans, comme aujourd’hui encore, et des pommes de pin fossiles ont quelquefois été recueillies en grand nombre. Il y a dix ans, en visitant moi-même le bassin à plâtre d’Aix, je fis une ample récolte de ces cônes, et je trouvai également quelques belles libellules[1].

  1. Un de nos ingénieurs des mines les plus distingués, M. Diday, a prouvé dans un remarquable mémoire que les eaux qui ont déposé ces plâtres avaient précédemment traversé le terrain carbonifère du bassin d’Aix, inférieur au dépôt des gypses et par conséquent plus ancien. Les charbons contenus dans ce terrain sont de la qualité dite lignite ; mais ce sont des lignites parfaits, rappelant la houille. En certains points, ils présentent d’énormes cavités ou des parties molles, pourries, que les mineurs du pays ont nommées moulières, parce que le terrain y est mou, pénétré par les eaux. Le lignite contenait en ces endroits une grande quantité de pyrite de fer. Cette combinaison de fer et de soufre, s’oxygénant peu à peu, est passée à l’état de sulfate de fer, lequel, agissant sur le calcaire qui sert de toit et de seuil au charbon, a transformé celui-ci en gypse ou sulfate de chaux. Ce gypse dilué, emporté par les eaux acides, est allé se déposer plus loin dans le terrain à plâtre, et l’oxyde de fer, spongieux, pulvérulent, est resté dans les moulières. M. Diday a voulu appuyer par des chiffres son ingénieuse explication, et, comparant le vide des moulières au volume occupé par les gypses, il a trouvé des nombres concordans.