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abondent les intentions honnêtes et les observations fines. Soit que l’auteur de la Contagion n’ait pas eu le courage de sacrifier une part des idées qui assaillaient son imagination, soit qu’il ait cru que tous ces incidens lui étaient nécessaires pour soutenir jusqu’au bout l’attention du public, nous pensons qu’il s’est trompé. Ce serait, dans le premier cas, un peu trop de complaisance pour soi-même ; dans le second, ce serait trop de modestie. Un artiste aussi habile, aussi fécond, aussi sûr de ses richesses, doit-il donc hésiter devant cette loi souveraine qui prescrit de subordonner tel détail à tel autre, de sacrifier même toute une partie de l’ouvrage à l’intérêt de l’ensemble ? Le jour où M. Augier voudra bien s’enfermer dans un sujet unique et le développer avec force, il reconnaîtra, j’en suis sûr, qu’il avait tort de se défier de lui-même. C’est la transformation nouvelle que nous osons réclamer de son talent. Je ne reproche pas à M. Augier d’avoir substitué à l’ancienne forme comique le roman théâtral, le roman dialogué ; toutes les formes sont bonnes, pourvu qu’on intéresse le spectateur et qu’on trace quelque vivante image de la comédie humaine. Je remarque seulement que l’auteur est moins excusable, si, pouvant joindre à l’intérêt moral de la comédie le romanesque intérêt d’un tableau d’aventures, il ne réussit point à se préserver de la froideur. La froideur, qui était déjà le défaut de Maître Guérin, et qui est plus sensible encore dans la Contagion, ne vient-elle pas du procédé commun à ces deux ouvrages ? M. Augier, dont l’esprit alerte s’est tant de fois renouvelé, aurait à tenter aujourd’hui une entreprise plus haute. Quand il écrivait dans sa jeunesse ces comédies aimables qui offrent le développement d’une même pensée, il n’y portait pas l’abondance d’idées, de vues, de saillies, devenue l’un des caractères de son talent. La simplicité d’action lui était plus facile à cette date et ne pouvait être prise pour un témoignage de force. Désormais au contraire, après cette pratique assidue et si souvent heureuse de son art, après tant d’observations, d’épreuves, de batailles, après des pièces aristophanesques comme les Effrontés et le Fils de Giboyer, après de satiriques tableaux d’aventures comme Maître Guérin et la Contagion, ce serait pour M. Emile Augier une preuve éclatante de vigueur que de concentrer l’action de ses drames. Il ne renoncerait pas à ses forces, il les gouvernerait mieux. Il ne retournerait pas en arrière, il ferait un pas en avant. Au lieu de la simplicité un peu indigente des premiers jours, on verrait chez lui la simplicité féconde de l’homme qui possède bien des secrets de la vie. Que lui faudrait-il pour atteindre ce but ? Chercher dans le développement d’une pensée principale les victoires qu’il demande aujourd’hui à la multiplicité des sujets.

À ce conseil purement littéraire nous ajouterons un vœu d’un autre ordre. M. Emile Augier n’est pas de ces écrivains qui ne savent peindre qu’une partie du monde, et qui, enfermés dans les zones ténébreuses, seraient tout dépaysés au grand soleil. Par la variété de ses études, par la souplesse et l’honnêteté de ses inspirations, il a montré qu’il était