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gens fût indigne d’attention. C’est là certainement un des plus tristes épisodes de l’histoire littéraire de notre âge. M. Emile Augier ne pouvait se dispenser de marquer sa place distincte au fort de la mêlée. Quand une question capitale est soulevée dans l’arène politique, le chef de parti, député ou publiciste, ne saurait garder le silence ; quand un débat philosophique ou religieux agite les intelligences, l’écrivain qui a charge d’âmes est tenu de faire connaître son opinion ; j’en dirai autant du poète comique, quand ce poète est déjà un des maîtres de la scène et que la scène est envahie par un genre nouveau qui offre les plus sérieux périls : la neutralité ne lui est pas permise, il faut qu’il parle et qu’il agisse. M. Augier, avec son robuste bon sens, comprit du premier coup que la comédie nouvelle, en faisant d’un mal incontestable une peinture si nette, si précise, si sèchement indifférente, tendait à l’aggraver encore et à le répandre. C’est alors qu’il écrivit le Mariage d’Olympe. Le coup de pistolet tiré à la courtisane par le vieux gentilhomme dont elle souille le nom a pu paraître un dénoûment brutal. Considéré non pas selon l’optique théâtrale immédiate, mais relativement à l’ensemble des œuvres de l’écrivain, c’est-à-dire au point de vue de son rôle général comme observateur et peintre des choses de son temps, ce dénoûment féroce n’est-il pas un symbole ? N’est-ce pas une leçon littéraire adressée au théâtre lui-même autant et plus qu’une leçon morale adressée aux amis d’Olympe ? N’est-ce pas une manière de dire à tous les coupables, spectateurs blasés et auteurs complaisans : « Assez ! Le règne d’Olympe est fini ; ne demandez plus son histoire à la scène française du XIXe siècle. C’est calomnier le monde moderne que de condamner le théâtre à l’éternelle peinture des choses abjectes. La France de 89, grâce à Dieu, n’est point tombée si bas : des intérêts plus graves, des dangers plus nobles, des personnages plus dignes d’attention nous réclament. » Et en même temps que le poète s’efforçait ainsi de purifier la scène, il méditait déjà cette belle comédie de la Jeunesse, où une idée si forte, si hardie, rachète les défauts de l’action. La jeunesse au XIXe siècle, les dangers et les souffrances de la jeunesse dans une société où l’argent est tout, où la tentation du mal obsède sous mille formes la conscience du pauvre, où la voix même d’une mère, ô cruauté ! peut devenir le plus innocemment du monde la voix de la séduction corruptrice, certes c’était là un sujet de comédie douloureux et poignant comme notre civilisation en comporte, un sujet de comédie qui révélait un observateur pénétrant, impitoyable, et exigeait un talent de premier ordre. Le rôle de la mère, tel que le poète l’a conçu, annonçait à lui seul que M. Augier pouvait se mesurer désormais avec les difficultés les plus hautes.

C’est ici que commence la troisième période dans la carrière de M. Emile Augier, Enhardi par le succès d’une œuvre où il avait ? dit à ses contemporains, sans faiblesse comme sans déclamation, des vérités si difficiles à entendre, il se crut assez fort pour essayer de la comédie aristophanesque.