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au pays du caprice. Loin de nous ce spectacle ennuyeux de la vie bourgeoise ! loin d’ici les aventures de salon et les personnages à teinte grise ! La muse au libre langage est trop dépaysée dans cet empire des convenances banales ; la vieille comédie, la comédie de cape et d’épée, avec ses allures italiennes ou espagnoles, ne peut-elle, comme la comédie païenne rajeunie, fournir à l’imagination des figures joyeuses et des scènes originales ? C’est ainsi que M. Emile Augier avait été conduit à écrire l’Aventurière. Ramené par son instinct au monde qui nous entoure, il donne sa Gabrielle, et cette fois, bien que la pièce soulevât de sérieuses objections, un applaudissement unanime l’engage à persévérer dans cette route. D’où vient donc que le jeune poète, après un tel succès, était reparti pour les domaines fantasques ? Pourquoi le Carthaginois Bomilcar et le pâtre thessalien Chalcidias avaient-ils si promptement remplacé les personnages de notre siècle ? Fallait-il croire que l’auteur du Joueur de flûte avait décidément plus de goût pour les tableaux de genre que pour la grande peinture, qu’il reculait devant les exigences de sa tâche, qu’il renonçait à devenir un poète comique ?

Ce fut alors que M. Gustave Planche, ici même, examinant avec autant de sympathie que de précision les cinq comédies de M. Augier, cherchant les symptômes de sa vocation véritable, interrogeant le secret de ses transformations et de ses incertitudes, lui adressait un conseil où éclatait sa confiance. Je dis que la sympathie domine en ces pages de l’austère censeur, car tous les reproches par lui adressés au jeune poète aboutissaient à cette conclusion : osez peindre la société moderne, osez créer des types nouveaux. Ce n’est pas assez de consulter les œuvres consacrées par le temps et de les rajeunir par la gaité de l’imagination, par la verve et la franchise du langage ; il faut surtout étudier les vices ou les ridicules du monde où nous vivons. La vie, voilà le grand livre perpétuellement ouvert ; le poète qui en détourne ses regards, eût-il d’ailleurs le style le plus franc, la verve la plus joyeuse, ne sera jamais un poète comique.

On sait comment M. Emile Augier a répondu à ces exhortations. Nul ne lui reprochera désormais de ne pas avoir suffisamment osé. Dans la littérature dramatique de nos jours, il n’est pas d’activité poétique plus vive, plus alerte, plus souvent renouvelée, plus courageusement hasardeuse. Au moment où il semblait hésiter, il préparait ses forces. Est-ce donc chose surprenante qu’un poète rajeunisse l’ancienne comédie av&nt de s’attaquer à la comédie vivante ? De 1844 à 1851, l’auteur de la Ciguë avait paru incertain entre la fantaisie et le monde réel ; les dix années qui suivent nous le montrent, non plus indécis, mais curieux, attentif, s’essayant à varier ses inspirations, étudiant le monde et la scène, cherchant enfin son originalité vraie sur les routes les plus diverses, jusqu’au jour où il lâche la bride à la verve gauloise et crée à ses risques et périls une sorte de comédie aristophanesque. De 1851 à 1861, du Joueur de flûte aux Effrontés, c’est la seconde