littérature est fondée à peu près dans le même temps, peut-être avec les mêmes intentions qu’une association des bonnes lettres dont on a conservé chez nous le souvenir, et qui ne faisait guère que devancer de quarante ans nos conférences littéraires ; on invente ainsi beaucoup de vieilles choses. — Comme cette association des bonnes lettres, la Société royale anglaise prétendait rectifier, diriger l’esprit public. Le patronage royal lui était accordé, des évêques y avaient leur place. A-t-elle succombé sous le poids de cette double protection ? Aujourd’hui, si l’on en croit des témoins bien informés, qui assurent en avoir ouï parler, elle existe encore. On ne dit pas qu’elle continue à donner des prix de littérature, ainsi qu’elle l’avait fait d’abord, à l’imitation de l’Académie française ; il paraît qu’elle se plaît à entendre, dans ses réunions modestes et peu bruyantes, des travaux sur les langues qui ne se parlent plus depuis vingt siècles.
Pourquoi une société de littérature n’a-t-elle pu jusqu’ici fonder quelque chose en Angleterre ? Parce que les Anglais regardent la littérature comme inséparable de la politique et de la théologie : elle est à leurs yeux une force et, suivant une expression de Macaulay, un engin puissant, qui met en mouvement les sentimens d’un peuple sur les plus importantes questions. Quand une société de littérature pourrait-elle y vivre réellement et exercer quelque empire ? Quand les attaches de la politique et de la théologie ne seront plus pour les Anglais les conditions mêmes de l’existence de la littérature. Le nom de Macaulay revient ici naturellement à la mémoire. On trouve dans ses Miscellanées un amusant article sur cette Société royale de littérature, qu’il déclare nettement la plus absurde des sociétés. Il est impossible de réunir en des pages d’un whiggisme plus déterminé des argumens plus anglais et plus humoristiques contre l’institution des académies. On y remarque surtout une allégorie orientale, imitée des anciens essayistes.
Un roi de Babylone promet dix ânesses, dix esclaves et dix vêtemens complets chaque année à celui qui fera dix mesures du meilleur vin. Des juges sont institués pour boire les dix mesures de vin de chacun des concurrens et pour donner au plus méritant les dix ânesses, les dix esclaves et les dix vêtemens complets. Lorsque les mesures de vin furent présentées au concours, les juges, les ayant décachetées, y goûtèrent. Hélas ! les vins étaient plus mauvais les uns que les autres. L’un avait un bouquet de telle nature qu’il fut condamné par le simple témoignage de l’odorat, l’autre avait un goût de terre glaise, un troisième était aigre. Force fut de ne pas décerner le prix. Les juges, malheureux d’avoir à consommer de tels produits, parlaient de donner leur démission. « Au nom de