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lord Elchi. » Ici la fatuité, suivant M. Arnold, devient bêtise. Voilà des excès que les centres littéraires peuvent seuls corriger. Pour tout dire en un mot, M. Arnold voit de ce côté du détroit l’écrivain français travaillant sous les yeux d’un grand tribunal qui frappe d’une terreur préventive les extravagances et les faux jugemens, de l’autre côté l’écrivain anglais parlant à une multitude confuse où se perdent dans la foule quelques juges compétens, mais dispersés. Comment ce dernier demeurerait-il calme et confiant dans un juste arrêt ? Comment s’empêcherait-il de crier à tue-tête, et ne compterait-il pas sur la force des poumons ?

Ce n’est là qu’un côté de la question. Reste à savoir si les académies apportent quelque préjudice à la liberté du talent. Cette puissance préventive qu’elles ont contre les écarts ne s’exerce-t-elle pas contre les conquêtes du génie ? M. Arnold, qui est conséquent avec lui-même quand il dit ce que la littérature anglaise gagnerait à l’institution des académies, ne se charge pas de déterminer ce qu’elle pourrait y perdre. C’est un point qu’il laisse à étudier aux Français, qui en possèdent. Deux siècles d’expérience nous permettent de ne pas nous repentir de la différence que les académies ont mise entre nos voisins et nous.

Est-ce à dire que M. Arnold propose de transporter l’Institut sur les bords de la Tamise ? Il croit seulement que certaines académies spéciales, avec un but déterminé, seraient avec avantage et seront certainement établies en Angleterre. Ce qui ne se fait pas par l’autorité se fait aussi bien, peut-être mieux, par l’association ; mais il sait que l’illustre fondation de Richelieu ne sera jamais une idée anglaise, et il ne pense pas qu’un critique soit obligé d’être un homme à projets.

Une académie de la langue et de la littérature anglaise n’est pas, à vrai dire, chose nouvelle. Swift, remarquant un défaut notable de précision dans la langue, proposa l’établissement d’une académie à lord Oxford, ministre du trésor ; mais, suivant Chesterfield, les ministres n’aiment naturellement ni la clarté, ni la précision, surtout les ministres trésoriers. Le plan de Swift ne fut pas adopté : il n’y eut pas d’académies, il y eut des clubs littéraires ; point de gouvernement régulier des lettres en Angleterre, mais des comités, en quelque sorte des gouvernemens provisoires. Le fameux club de Johnson prononçait des arrêts qui se répandaient dans tout Londres en quelques heures, son suffrage faisait enlever une édition en un jour ou la jetait en proie à l’épicier. Johnson y rendait fies oracles et avait pour seconds Burke, Goldsmith, Reynolds, Gibbon, Garrick.

Dans notre siècle, nouvelle tentative. Une société royale de