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méprisé la critique. Lord Byron avait des motifs pour percer de ses flèches les reviewers écossais, mais avec quelle morgue de poète et de grand seigneur il les traite ! Wordsworth a écrit une longue et célèbre préface pour établir que la critique ne sert à rien : elle lui sert pourtant à soutenir son paradoxe avec des pages d’une réelle valeur.

La liberté de penser anglaise s’agite dans une sphère de controverses déterminées, circonscrites ; elle en a adopté la procédure, elle y a sa place et s’en contente ; elle est réglée non par un code rationnel, comme chez nous, mais par des coutumes. Je cède ici la parole à M. Matthew Arnold :


« C’est parce que la critique a si peu vécu dans la pure sphère intellectuelle, a si peu songé à briser le lien qui la rattache à la pratique, a été si nettement polémique et controversiste, qu’elle a si mal accompli dans ce pays son œuvre spirituelle la plus excellente, celle de préserver l’homme d’un contentement de soi qui fait les esprits attardés et vulgaires, de le conduire vers la perfection, de forcer son intelligence à s’arrêter sur ce qui est vraiment accompli, sur la beauté absolue et la convenance parfaite. Une critique de pure controverse aveugle les hommes sur la valeur de leurs idées pratiques ; elle leur en fait proclamer obstinément l’excellence, pour les mieux défendre contre toute attaque. Quoi de plus propre à rétrécir l’esprit, à le stériliser ?

« M. Adderley dit aux fermiers du comté de Warwick : Que parle-t-on d’amélioration des races ? Eh ! la race dont nous faisons partie, hommes et femmes, la vieille race anglo-saxonne, est la première race du monde. L’absence d’un climat trop énervant, d’un ciel trop pur de nuages, d’une nature trop luxuriante, a produit une race si vigoureuse d’hommes, et nous a rendus si supérieurs au monde entier !

« M. Roebuck dit aux couteliers de Sheffield : Je regarde autour de moi, et je demande quel est l’état de l’Angleterre. La propriété n’est-elle pas en sûreté ? Chacun ne peut-il pas dire ce qui lui plaît ? Ne pouvez-vous pas vous promener d’un bout de l’Angleterre à l’autre dans une parfaite sécurité ? Je vous demande si dans le monde entier ou dans l’histoire il y a quelque chose de semblable : rien. Puisse ce bonheur sans exemple durer toujours !

« Eh bien ! il est évident qu’il y a danger pour la pauvre nature humaine dans des paroles et des pensées si pleines de ce débordement de satisfaction personnelle. Attendez donc que nous en soyons à circuler en paix dans les rues de la céleste cité !…

« MM. Adderley et Roebuck ont en vue des opposans dont le but n’est pas idéal, mais pratique, et dans leur zèle à soutenir leurs idées contre ces novateurs, ils vont jusqu’à attribuer à ces idées pratiques une perfection idéale. — Quelqu’un a éprouvé le besoin d’introduire le droit électoral à six livres, ou d’abolir la taxe de l’église, ou de former d’autorité une statistique agricole, où de centraliser davantage l’administration. En