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bondissent parmi les feuillages ; l’invention déborde, et ce triomphe de la vie naturelle, ces poétiques panathénées de la libre et inventive imagination humaine déploient leur mouvement et leur exubérance pour orner le candélabre qui porte le cierge pascal.

Ce que fit alors le fondeur en bronze est incomparable ; l’orfèvrerie devance d’un siècle la peinture, et atteint son achèvement quand l’autre n’est encore qu’à ses débuts. Elle possède tous ses procédés et empiète sur ses rivales. La connaissance des types, la science du nu, le mouvement des draperies, l’étude des expressions, des ordonnances, de la perspective, rien ne lui manque ; ce qui sort du pouce du modeleur, c’est le tableau complet, les trente ou quarante personnages groupés sur divers plans, les foules agissantes et passionnées, toute la tragédie humaine étalée sur la place publique, entre des portiques et des temples[1]. Il y en a deux de Donatello sur les parois de l’autel[2], il y en a douze de Velano et d’Andréa Briosco sur les parois du chœur, qui, pour la fécondité du génie, l’audace de la conception, le maniement et l’entassement des multitudes, dépassent tout ce que j’ai jamais vu. C’est Judith et toute l’armée d’Holopherne massacrée ou mise en fuite ; c’est Samson renversant les colonnes du temple qui s’écroule sous ses galeries chargées ; c’est Salomon sous un triple étage d’architecture entouré du peuple assemblé ; ce sont les dix tribus israélites devant le serpent d’airain, corps gisans et enflés par la morsure des reptiles, femmes suppliantes qui tendent leurs enfans vers la guérison, hommes blessés qui s’amoncellent et se tordent, tout cela dans un vaste paysage de rochers, de palmiers, de troupeaux, qui étend les grandeurs de la nature paisible autour des agitations de l’humanité souffrante. Tous ces corps et toutes ces âmes vivent, et par contre-coup leur énergie se communique au spectateur ; on se sent relevé quand on les a vus. Voilà la noblesse de cet art. Qu’on regarde les portraits et l’histoire des hommes du temps, on verra qu’ils ont bien soutenu la bataille de la vie, et c’est là ce qui les met au premier rang parmi les artistes. Que l’homme combatte et souffre, qu’il soit blessé et se débatte, il n’importe, sa condition l’exige ainsi, il est fait pour la peine et pour l’effort. Ce qui importe, c’est qu’il fasse bravement effort, c’est qu’il veuille, travaille et invente, c’est que la grande source d’action qui est en lui n’aille pas se perdre dans un marécage inerte ou dans un canal administratif, c’est qu’elle coule et s’épanche incessamment non comme un torrent capricieux, mais comme un large fleuve ; c’est que le courant, une fois lancé, roule toujours, troublé et tempétueux s’il le faut, mais fécondant,

  1. Voir le Martyre de saint Laurent de Baccio Bandinelli dans l’estampe si connue.
  2. 1446-1449.